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Publié par Adèle - Margaux

 

Groupement de textes :

 

L'Italie, berceau de l'humanisme européen

 

 

 
LOUISE LABE : Sonnet VIII (1555)
 

PETRARQUE-Sonnet-134.jpg

 

Je vis, je meurs : je me brûle et me noie,
J’ai chaud extrême en endurant froidure ;
La vie m’est et trop molle et trop dure,
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

 

Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure,
Mon bien s’en va, et à jamais il dure,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

 

Ainsi Amour inconstamment me mène
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

 

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

bbbbbb
b
LOUISE LABE, Sonnets, VIII

 

 

LECTURE ANALYTIQUE
 

1°) PRESENTATION

a) Dans l'histoire littéraire

 

La vie de Louise Labé reste un grand mystère car tout ce que nous savons d'elle reste hypothétique, et son existence a même récemment été mise en doute !

Elle serait née en 1524 à Lyon et décédée en 1566. Elle était surnommée «La Belle Cordière» parce qu’elle était fille et femme de cordiers, et elle a nourri de nombreuses légendes : elle aurait notamment reçu une éducation exceptionnelle pour une femme de l’époque (apprenant le grec et le latin) et était donc imprégnée de la culture italienne. C'était une femme moderne et hors norme puisqu'elle fréquentait les cercles intellectuels lyonnais et avait même une liaison adultère avec le poète Olivier de Magny.

De cet amour malheureux Louise écrivit de nombreux poèmes. C'est peut-être ce qui l'a poussée à publier entre 1545 et 1555 Elégies et sonnets.  Source 

 

b) Dans l'œuvre 

 

Le sonnet Je vis, je meurs est le huitième poème du recueil Elégies et sonnet, composé au total de 24 poèmes.

Son œuvre est inpirée du 134e sonnet de Pétrarque : on y retrouve notamment le désordre de l’amour et le contraste entre le bonheur et le malheur. Il y a là de nombreuses similitudes avec le sonnet de Louise Labé.

 

2°) LECTURE


3°) INTRODUCTION
 

Premières impressions
 

A la première lecture, nous avons un sentiment de confusion, sans doute en raison du lexique et de la syntaxe qui date du 16e siècle, mais aussi en raison de la confusion des sentiments de Louise Labé. Elle semble perdue entre le bonheur et le malheur, la solitude et l'amour. Elle livre ses propres impressions, se confie sur ses émotions personnelles et on ne peut pas tout comprendre. C'est un poème qui est par conséquent écrit à la première personne du singulier.

Le poème relève du registre lyrique, même si Louise Labé adopte un point du vue général, et est tiraillée entre la violence du désir et la violence de la passion.

Selon François Truffaut (un réalisateur et scénariste de cinéma français du 20e siècle), "L'amour est à la fois une souffrance et un bonheur".

 

Problématique : Comment Louise Labé exprime-t-elle ses sentiments à travers ce poème ?

 

4°) EXAMEN METHODIQUE

 

I / LE DESORDRE DE L'AMOUR

 

A) Lexique

· Vocabulaire

Pour exprimer la confusion de l'amour, Louise Labé utilise principalement des antithèses. On le remarque des les premiers mots «Je vis, je meurs» qui sont sûrement l'exemple le plus percutant de figure d'opposition. Dans le premier quatrain on remarque  l'opposition du chaud et du froid : «brûle» et «noie» L1, «chaud» et «froidure» L2. De plus, la vie est trop «molle» et trop «dure» L3, et Louise éprouve beaucoup «d'ennuis» et de «joie» L4.

Le second quatrain est composé de la même manière ; c'est-à-dire que chaque vers présente une contradiction. C'est en fait la confrontation de deux champs lexicaux principaux : celui du bonheur, et celui de la souffrance.  (UTILISER LE TBI).

Le fait que l'on retrouve ces oppositions partout dans le poème est peut être une manière de dire que l'amour ne peut pas s'en débarrasser, que c'est peut être même ce qui le définit, et qu'on est obligé de confronter la difficulté de devoir faire avec la souffrance et le bonheur que procure l’amour.

Louise Labé utilise un niveau de langue courant à soutenu (vocabulaire de l'époque) : «froidure» L2, «larmoie» L5, «grief» L6, «je verdoie» L8, «inconstamment» L9, «heur» L13. Cela montre que l'auteur a reçu une bonne éducation, et peut-être que c'est un moyen pourelle de compliquer un peu son poème, de le rendre moins compréhensible pour certains.

· Sonorités

Pour exprimer le désordre de l’amour, Louise Labé semble également jouer avec les sonorités du poème.

Celui-ci est construit autour des rimes en « i », « u», « eu » et « oua ». Cela donne une impression de mélodie, une berceuse, qui vient renforcer le registre lyrique et la sensation d’une structure en boucle du poème. Cette structure cyclique renvoie peut-être à une spirale infernale que serait l’amour, pour suggérer que celui qui est amoureux est emprisonné dans un cercle vicieux.

On retrouve trois occurrences de l’allitération en "m"( Cf : v1, v9, v14 ) et on remarque même que le « m » est assez présent dans tout le poème. En effet, ici le M est fondamentalement associé à l'Amour. La forme de la lettre représente deux êtres qui se donnent la main ou deux 1 qui se regardent.

L’allitération du M renforce peut-être aussi l’impression de soumission, de martèlement « Ainsi Amour inconstamment me mène » v9, de dépendance inévitable « Il me remet en mon premier malheur » v14

L’allitération du R au v6 pourrait renforcer l’idée de dureté « Et en plaisir maint grief tourment j’endure »

 

B) Syntaxe 

· Rythme

Le rythme donne une impression d’organisation, tout comme la construction du poème, ce qui peut apparaître comme contradictoire avec le désordre de l’amour.

En effet, il n’y a pas d’enjambements (= on se réfère au vers précédent pour comprendre), c’est-à-dire que la syntaxe ne déborde pas sur le rythme du poème. Néanmoins, l’amour crée des basculements constants, chaotiques, comme on peut le voir avec le rythme binaire qui s’appuie sur l’opposition du bonheur et du malheur.

Aussi, on remarque que Louise Labé utilise très peu de propositions subordonnées (v6 v10 v12 v13) ni de mots de liaison peut-être pour que le poème se lise plus facilement, pour que les phrases « roulent les unes sur les autres » et pour donner un rythme plus rapide, plus dynamique. Cela pourrait traduire la confusion mentale de Louise Labé, le fait qu’elle soit perdue.

·Construction

C’est un sonnet dans la tradition pétrarquiste dont on voit l’influence. En effet il suit une règle d'organisation strophique fondée sur la succession de deux quatrains et de deux tercets. Le poète, dans la première moitié du poème (les deux quatrains), doit rimer sur un thème, la seconde (les deux tercets) lui permettant de présenter une réflexion personnelle à propos de ce même sujet.

On remarque que ce poème est en décasyllabes, à rimes embrassées (abba) dans les quatrains puis croisées (abab) ou suivies (aab) dans les tercets (à peu près). C’est un sonnet porté sur l'amour-passion, mais aussi l'amour-dépendance.

La structure très travaillée du poème pourrait suggérer l’idée d'un ordre dans le désordre, c’est-à-dire qu’il apparaîtrait comme une harmonie au sein du chaos de l’amour.

Comme le poème suit les contraintes de la forme fixe du sonnet, on peut penser que c'est une manière d’illustrer les contraintes de la passion amoureuse = Louise Labé utilise la construction du sonnet au service de son thème.

 

II / LE POUVOIR DE L'AMOUR

A) L'Amour inconstant 

 

1 - Observations

Nous remarquons la présence d'un lexique axé sur la durée : "Tout à un coup" L5-L8 répété 2 fois, "à jamais" L7 - "quand je pense" L10 - "quand je crois" L11 "inconstamment"

Nous retrouvons des adverbes, des conjonctions de coordinations comme "quand" et des adjectifs qui expriment la durée au fil du sonnet.

 

2- Interprétations

Louise Labé exprime son trouble : son esprit est confus, l'amour semble éternel, puis soudain il n'est qu'éphémère. La répétition des "quand" montre bien le changement de tempérament : la passion de l'amour, le pouvoir que l'amour a sur nous ne dure jamais indéfiniment : il se joue de la durée de la joie qu'il inspire.

 

B) La puissance de l'Amour 

 

1- Une expérience des limites

On peut remarquer la présence de jugements subjectifs tout au long du sonnet : "extrème" - "grands" "molle" ou encore "dure". Louise Labé démontre bien que l'amour est démesuré, qu'il est construit sur des sentiments parfois excessifs.

En effet, comme l'illustre ici la poétesse avec ses brefs instants de joie " je ris et je larmoie", l'amour a le pouvoir d'emmener à de purs moments de bien-être, d'épanouissement comme au plus grand désespoir, au dégoût de la vie avec "Il me remet en mon plus grand malheur" : il amène aux limites des sentiments de la personne.

 

2- Un casse tête psychologique

Comme l'indique le titre Je vis, je meurs, l'amour provoque des sentiments troublants, souvent contraires : Louise Labé, par exemple, se voit brûler et se noyer, sécher et verdoyer. Elle montre bien la puissance de l'Amour, la non-maîtrise des sentiments amoureux : comme le dit la célèbre expression " L'amour rend aveugle". La poétesse l'illustre parfaitement, le sonnet donne l'impression qu'elle perd la raison, comme si l'Amour était une chose qui la dépassait. On pourrait comparer le sonnet à un immense mélange de sentiments : les désirs "En haut de mon désiré heur (bonheur)", les ennuis "J'ai grands ennuis", les joies " je crois ma joie être certaine".

 

Remarque : On pourrait associer le sonnet avec le mythe de Daphné : "Pour se venger d'Apollon, qui s'est moqué de lui, Éros, dieu de l'amour, décoche simultanément deux flèches, une, en or, sur le dieu lui-même, qui le rend fou amoureux de la belle Daphné, l'autre, en plomb, sur la nymphe, qui lui inspire le dégoût de l'amour. Alors qu'Apollon la poursuit, celle-ci, épuisée, demande à son père, le dieu fleuve Pénée, de lui venir en aide : celui-ci métamorphose sa fille en laurier-rose. Apollon, qui est toujours amoureux d'elle, en fait alors son arbre, et le consacre aux triomphes, aux chants et aux poèmes." Source

Ce sont notamment les mots "Je sèche et je verdoie" L8 qui nous font penser à ce mythe.

 

Pour conclure, ce sonnet dévoile très bien le pouvoir que l'amour exerce sur les personnes... Louise Labé le décrit comme temporaire, inconstant avec un lexique de durée, mais qui explore aussi les limites des sentiments. Sa puissance conduit au trouble, à la confusion. C'est d'ailleurs une des raisons du succès de ce sonnet : il est universel car chaque personne peut s'y retrouver.


III / L'EROTISME DU SONNET

A) Une progression des sentiments

A la lecture du sonnet on a l'impression d'une progression constante orientée vers une chute, une gradation qui montre à la chute finale que l'amour est voué à l'échec. En effet, traditionnellement, le dernier vers du sonnet doit apparaître comme une brève conclusion. C’est une image expressive résumant le tableau décrit par le poème, un effet de surprise, une sorte de morale éclairant le sens du texte...
CF TBI : A chaque début de paragraphe, l'évolution des connecteurs “tout à un coup” “ainsi” “puis”, qui mènent à la chute.

 

B) Un sens voilé
 

Louise Labé était une humaniste féministe de son époque qui se battait pour la liberté de la femme. Du fait de son adultère (personne qui rompt volontairement la fidélité dans un couple en ayant des rapports sexuels avec une autre personne que son conjoint), on pense qu'elle se battait également pour la liberté sexuelle de la femme. C'est pour cette raison qu'on peut voir un autre aspect du poème de par les insinuations érotiques glissées par Louise Labé.
 

CF TBI: “Je me brûle et me noie” + “j'ai chaud extrême” + “Amour inconstamment me mène” + “quand je crois ma joie être certaine et être au haut de mon désiré heur” => le comble du bonheur, l'apothéose = l'orgasme
“Il me remet en mon premier malheur” => comme si elle en voulait à son partenaire de ne pas l'aimer suffisamment et qu'il ne s'intéresse à elle que par intérêt sexuel. C'est un amour charnel (= amour sexuel, vient de chair), et non sentimental.
La forme du sonnet participe a l'érotisme du sonnet, de par la gradation. De plus les mots utilisés par Louise Labé ont un sens plus caché, plus sexuel. Elle ne le dit pas franchement afin de ne pas choquer les gens de son époque.


 

5°) CONCLUSION
 

Louise Labé exprime ses sentiments dans le sonnet Je vis, je meurs grâce au chaos des figures d'opposition, principalement entre le bonheur et le malheur. Elle utilise également la forme du sonnet : le fait qu'elle soit contrainte à respecter les règles du sonnet montre qu'elle est soumise à l'amour. De plus elle intègre une progression des sentiments dans le poème jusqu'à une chute finale qui montre que l'amour est voué à l'échec. Enfin, elle exprime ses sentiments par des allusions érotiques : elle évoque une passion charnelle mais ici la chute souligne peut être que l'amour sexuel est plus important pour son partenaire que les sentiments. C'est pour cela qu'elle était désespérée et qu'elle est « allée voir ailleurs ».


 

http://3.bp.blogspot.com/_B8oUL_ggEmw/TUF54qOdySI/AAAAAAAACuE/97kGELyLiqE/s1600/Sandro%2BBotticelli%2B-%2BSimonetta%2BVespucci%2Bas%2Bnymph.%2B2jpg.JPG Portrait de Simonetta Vespucci - Sandro Botticelli (1445 - 1510)

 

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