Essai de conversation par Lou-Ann
Ils n’ont simplement pas les mêmes mœurs que nous, cela ne fait pas d’eux des monstres.
Mon roman dénonce la gravité de la situation dans le monde, les conditions de voyages des migrants, qui meurent en mer, sous les coups des forces de l’ordre, ou de faim…
Les deux amérindiens que j’ai pu rencontrer de façon très cordiale m’ont avoué ne pas comprendre nos coutumes mais également de ne pas comprendre notre système de hiérarchie.
Rentrez bien, en espérant que nos paroles et pensées contribueront à changer l’horizon de ce monde si incertain.
CONVERSATION IMAGINAIRE
MONTAIGNE/GAUDE
MONTAIGNE, invitant Gaudé à s’asseoir sur une chaise dans sa bibliothèque personnelle - Bonjour Monsieur Gaudé, mon nom est Montaigne, je suis un écrivain. J’ai lu votre œuvre Eldorado, et j’aurais souhaité, si cela est envisageable, échanger avec vous à ce propos. J’espère que votre voyage temporel s’est réalisé sans inconvénients.
GAUDE, s’asseyant - Bonjour M. Montaigne ! Merci de votre invitation, mon voyage s’est très bien déroulé. J’ai également lu vos Essais, Des Cannibales suivi de Des Coches. Je serai ravi de pouvoir échanger et vous poser quelques questions. Tout d’abord, pouvez vous me donner quelques détails sur votre vie personnelle ?
MONTAIGNE - Ma mère m’a donné naissance le 28 février 1533 au château de Montaigne en Périgord, et j’ai par la suite été élevé dans un village voisin par une nourrice. J’ai réalisé des études de droit, j’ai été conseiller et Maire à la mairie de Bordeaux, avant de décider de prendre ma retraite dans mon château personnel dans les montagnes et consacrer 20 ans à rédiger mes Essais. La peste et les guerres de religion ont rendu mon mandat de Maire très fatiguant. J'ai également rédigé un autre ouvrage Traduction de la Théologie naturelle de Raymond Sebond (1569). Mon ouvrage Journal de voyage en Italie est toujours en écriture. Et vous, auriez vous l’amabilité de me donner quelques détails de votre vie ?
GAUDE - Je suis né le 6 juillet 1972 à Paris. J’ai étudié à l’école Alsacienne avant de faire des études de lettres puis des études théâtrales à Paris. J’ai commencé par rédiger Onysos le Furieux , une pièce de théâtre. Puis j’ai écris Pluies de cendres. S’en est suivi une autre pièce de théâtre et un roman avant Eldorado.
MONTAIGNE - Merci, je souhaitais vous demander : pourquoi ce titre ? Que souhaitiez vous transmettre avec ?
GAUDE - L’Eldorado est, selon les Conquistadors d’Espagne, une contrée mythique et merveilleuse supposée regorger d’or. Dans mon roman, l’Eldorado est, comme le dit un homme au commandant Piracci, le cimetière de Lampedusa. Il dit à Salvatore que cet endroit est magnifique: « L'herbe sera grasse, dit-il, et les arbres chargés de fruits. De l'or coulera au fond des ruisseaux, et des carrières remplies de diamants a ciel ouvert réverbéreront les rayons du soleil. Les forêts frémiront de gibier et les lacs seront poissonneux. Tout sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse » C’est une antithèse, car un cimetière n’est pas censé être si féerique. D’ailleurs, avez vous apprécié mon livre ?
MONTAIGNE - Oui, je l’ai beaucoup apprécié, il m’a semblé très touchant et émouvant. Ma foi, le fait d’alterner les deux histoires et de finir par les mettre en relation est très intéressant, puisque que ces individus ont deux points de vues différents sur le même sujet. Pourquoi avez vous choisi cette façon d’écrire, selon vous ?
GAUDE - J’ai choisi de mettre ces deux histoires en parallèle dans différents chapitres, car les deux personnages ne voyagent pas pour les mêmes raisons, ce qui fait que leur vision des choses est parfois opposée. L’un est contraint de quitter son pays, l’autre le fait par choix. Le fait de les faire se rencontrer à la fin permet de comprendre la détresse de chacun. Concernant votre œuvre, pourquoi l’avez vous écrite ? quelles ont été vos sources d’inspiration ?
MONTAIGNE, se levant pour cherche un livre dans sa bibliothèque tout en continuant à parler - J’ai rédigé « Des cannibales » afin d’essayer de modifier l’opinion publique des Européens concernant les sociétés « primitives » dont j’ai pu ouïr les histoires. En effet, les Européens considèrent ces sociétés comme « sauvages », or, comme j’ai pu le dire dans un passage de mon essai, « ces hommes sont sauvages de même que nous appelons sauvages les fruits que la nature a produits d’elle même et par sa marche ordinaire ». Je souhaitais arrêter les préjugés envers ces peuples. Ils sont humains, ce sont nos frères. Ils n’ont simplement pas les mêmes mœurs que nous, cela ne fait pas d’eux des monstres. Concernant « Des Coches », je l’ai écrit afin de détruire cette image positive que les Européens ont de la colonisation, car pour moi c’est une pratique inadmissible. De plus, je souhaitais, à l’aide d’une argumentation fondée, critiquer les guerres de religion longues et sanglantes. Voilà la visée de mes essais. Ma source d’inspiration a été mon grand ami Etienne de Boétie qui est décédé. Quel était la visée de votre roman ?
GAUDE - Mon roman dénonce la gravité de la situation dans le monde en 2004-2005, les conditions de voyages des migrants, qui meurent en mer, sous les coups des forces de l’ordre, ou de faim…Ce sujet est malheureusement toujours d’actualité en 2020 et je souhaitais que chacun puisse se mettre dans la peau d’un voyageur, comprendre leurs tourments, inquiétudes et problèmes. Ce sujet n'est, selon moi, pas assez mis en lumière. De plus, les migrants sont souvent rejetés des pays dans lesquels ils finissent par arriver. Or, s'ils étaient forcés de partir, il y a bien une raison. Ce choix doit être respecté et même parfois admiré, avec les horreurs qu’ils ont subies. Il est important de les écouter, de s’intéresser à eux. De plus, comme j’ai pu le préciser dans une interview au sujet de mon roman, même si Soleiman parvient à rejoindre la France ou l’Espagne comme il le souhaitait, il a échoué car il s’est perdu, il a perdu son âme pure lorsqu’il s’est surpris à frapper un homme pour obtenir son argent afin de continuer son voyage avec Boubakar. Il a cependant pu retrouver un peu de bonté et de joie lorsqu’il a sauvé ce dernier à la frontière entre le Maroc et l’Espagne. Selon vous et vos Essais, en quoi est-il important de s’ouvrir à l’autre, de lui porter attention ?
MONTAIGNE -: Comme j’ai pu le dire dans « Des cannibales », il est important de s’intéresser à l’autre car leurs coutumes et mœurs sont différentes, leur façon de penser et d’agir en civilisation aussi, et cela peut nous apporter énormément, car nous n'avons pas forcement raison dans notre manière de fonctionner. Par exemple, les deux amérindiens que j’ai pu rencontrer de façon très cordiale m’ont avoué ne pas comprendre nos coutumes mais également de ne pas comprendre notre système de hiérarchie. En effet, nous pouvons parfaitement s’interroger sur la question : pourquoi un Roi, quelqu’un nommé « supérieur » à nous, pourrait choisi de prendre nos décisions, savoir qui doit vivre ou mourir, savoir qui à le droit à l’argent et qui devra vivre dans la rue. Leur hiérarchie est différente et très belle, ma foi. Ils sont tous égaux, ce sont tous des frères. Je cherche également à déconstruire l’image de « sauvages » qui leur est attribué. Enfin, comme j’ai essayé de transmettre dans « Des Coches », je cherchais également à critiquer la colonisation excessive et violente. D’ailleurs, je me demandais : selon vous, quels sont les points communs entre nos deux œuvres ?
GAUDE : - Pour moi, nos deux œuvres se rejoignent en plusieurs points : l’ouverture à l’autre, à de nouvelles civilisations, la mise en lumière de sujets sensibles : moi les migrants et leurs conditions de vies, vous les préjugés sur les « sociétés primitives » et la déconstruction de la colonisation. Enfin, nous traitons tout les deux du rejet des Européens envers les civilisations étrangères. Pensez vous que nos livres peuvent influencer l’opinion du peuple ?
MONTAIGNE :- A l’époque où nous sommes actuellement, mon époque, mon texte n’a pas été pris au sérieux, ni entendu. Je vois qu’à votre époque mon ouvrage est écouté, lu et même compris. Selon ma pensée propre, votre roman, qui a pour but de faire réfléchir est voué à parvenir à cet effet. Car nous ne pouvons qu’espérer que les pensées évoluent avec le temps . Enfin, je souhaitais vous demander : si vous deviez retenir une phrase pour chacun de mes essais, lesquelles seraient elles ?
GAUDE : - Je pense que ce serait « Ce n'est pas raison que l'art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissance mère nature. » (« Des cannibales »), « Ces nations me semblent donc ainsi barbares pour avoir reçu fort peu de façon de l'esprit humain, et être encore fort voisines de leur naïveté originelle. » (« Des cannibales ») ainsi que « Notre monde vient d’en trouver un autre » (« Des Coches »). et vous, si vous deviez retenir une ou plusieurs phrases de mon roman laquelle ou lesquelles serai(en)t elle(s) ?
MONTAIGNE : - Selon moi, ce serait « Aucune frontière n'est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi... Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. » ainsi que « Ils étaient beaux de cette lumière que donne l'espoir au regard »
GAUDE, se levant doucement comme si il ne voulait partir : - Très bien ! Merci d’avoir répondu à mes questions ! Et merci de m’avoir donné l’opportunité de vous rencontrer et voir votre magnifique bibliothèque personnelle si mythique pour les adeptes de lecture. Je dois malheureusement retourner à mon époque, mon vaisseau temporel m’attend.
MONTAIGNE, se levant à son tour, tendant la main : - Merci à vous ! Rentrez bien, en espérant que nos paroles et pensées contribueront à changer l’horizon de ce monde si incertain.