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Publié par i-voix

Entretien partagé - Wajdi Mouawad : Incendies 3/3

PRESENTATION

Wajdi Mouawad, dramaturge né au Liban, a reçu le prix du théâtre de l'Académie française en 2009 pour son cycle Le Sang des promesses, dont Incendies fait partie, précédé par Littoral et suivi par Forêts. L'adaptation cinématographique de 2010 a remporté un franc succès, avec 8 nominations et victoires aux Genie Awards. Dans cette pièce de théâtre sortie en 2003, Wajdi Mouawad met en avant les personnages de Jeanne et Simon Marwal, deux jumeaux en recherche de la vérité sur leurs origines à la suite du décès de leur mère, Nawal, et de la lecture de son testament qui soulève des questions inattendues. Ils décident donc de partir à la recherche de ces vérités, qui concernent à la fois leur père supposé mort et leur frère dont ils ne connaissaient l’existence.  


J’ai décidé de présenter cette œuvre suite aux thèmes tabous qu’elle aborde, à travers une pièce de théâtre vivante, réaliste et parfois dure à lire, non pas sur le plan lexical mais sur le plan psychologique. Incendies est à la fois le récit de toute une vie, et celui d’une mort, qui dévoile ce qui n’aurait pas pu être dit.  

Entretien partagé - Wajdi Mouawad : Incendies 3/3

Avez-vous trouvé facile d’entrer dans l’œuvre ?  Avez-vous trouvé la lecture de l’œuvre aisée ? Pourquoi ? 

La lecture de l’œuvre était un peu difficile au début parce qu' il y a deux cadres spatio-temporels, ce qui complique la compréhension de l’histoire. Mais lorsque l’on avance dans l’œuvre et que l’on distingue bien le passé du présent, cela devient même plaisant d’avoir deux cadres spatio-temporels, cela rajoute du suspens.  

Qu’a provoqué chez vous la lecture de cette œuvre ? 

Cette œuvre a d’abord été une véritable découverte : une écriture poignante et une histoire originale, je ne pensais pas pouvoir à la fois autant aimer et détester des personnages, sans pour autant avoir l’impression de pouvoir y apporter mon jugement. J’ai été émue, touchée particulièrement par le dénouement et la qualité d’écriture : dès les première pages, lorsque Nawal écrit au notaire, Hermile Lebel : “Enterrez-moi toute nue 

       Enterrez-moi sans cercueil 

       Sans habit, sans écorce  
       Sans prière 
       Et le visage tourné vers le sol.”,p.9.

J’ai trouvé ce passage particulièrement fort, et dès ce moment j’ai su que cette œuvre ne serait pas une simple lecture de passage mais bien un récit dont on se rappellera. Il m’a aussi amenée à réfléchir à beaucoup de questions, notamment celles que Nawal pose à la fin de la pièce : “Où commence votre histoire? A votre naissance?” L'éternelle boucle que forment l’horreur et l’amour dans cette œuvre n’est sûrement pas que fictive, et la part de vrai est que chacun ne peut savoir où débute vraiment son histoire.

 

À quel personnage trouvez-vous que l’on puisse le plus s’attacher ? Pourquoi ? 

Je me suis personnellement attachée au notaire, Hermile Lebel, alors qu’il n’est ni le plus mis en avant, ni le personnage le plus intéressant de l’histoire : j’ai trouvé Nawal Marwal plus intéressante en terme d’écriture du personnage, et même si on finit par comprendre ses actions et son comportement, je ne me suis pas sentie attachée à elle. Je ne sais pas si c’était l’effet recherché par Wajdi Mouawad, mais Nawal semble être une femme devenue distante, presque inaccessible à la suite de tout ce qu’elle a vécu. Je ne me suis pas non plus particulièrement attachée aux personnages des jumeaux : malgré leurs réactions plutôt compréhensibles et leurs caractères bien distincts, je n’ai pas réussi à m’identifier à eux. Cependant, le personnage d’Hermile est relativement simple, et cela marche plutôt bien : ami de la défunte, il aide et il a toujours de bons conseils, sans trop en faire ou pas assez. Il est compatissant, un peu maladroit et la touche de légèreté dans l’œuvre : sans lui je pense que le récit serait facilement tombé dans le ‘trop sombre’, et qu’il aurait été un peu plus dur d’accrocher. 

 

Quelle action du personnage vous a le plus impressionné(e) ? 

L’action qui m’a le plus impressionnée est lorsque Narwal quitte son amie Sawda qui l’a soutenue durant la guerre, pour tuer le chef des milices de deux balles. Une pour elle et une pour son amie. Ce passage est à la fois triste parce que s’est à ce moment que se quittent les deux amies, mais il est aussi héroïque.  

Que pensez-vous du début de l’œuvre ?  

Le début de l’œuvre est surprenant. Dès les premières lignes, on apprend la mort d’un personnage, on entre dans l’œuvre avec un sujet lourd. Ce début nous annonce aussi quelque part que cette œuvre serra très mouvementéE et pleine d’actions. On s’aperçoit que Jeanne et plus particulièrement Simon ne sont pas touchés par la mort de leur mère. Simon semble même éprouver de la haine pour sa mère, qui après un certain procès a arrêté subitement de parler. Ce début fort en émotions nous donne envie d’en découvrir plus pour répondre à toutes les questions que se pose le lecteur. A savoir : Pourquoi Simon éprouve de la haine pour sa mère ? Pourquoi Narwal a subitement arrêté de parler ? Que s'est-il réellement passé lors de ce procès ?  

Que pensez-vous de la fin de l’œuvre ? 

La fin de l’œuvre est tant attendue. Les lettres adressées au fils et au père, dont on évoque tout au long de l’œuvre, sont enfin ouvertes. C’est assez surprenant puisque lorsque Narwal a écrit ces lettres, elle savait que son fils était aussi le père de ses jumeaux, elle a tout de même fait une distinction entre les deux personnages qui sont en réalité la même personne. La lettre adressée au fils est pleine de complimentS et de compassion, contrairement à la lettre adressée au père qui est un blâme total. Il y a ensuite une dernière lettre non connue jusqu’ici, adressée aux jumeaux de la part de leur mère. Dans cette lettre, elle leur dit que “l’enfance est un couteau planté dans la gorge” et que l’on ne peut rien y faire mais cela ne changera pas l’amour de Narwal pour Jeanne et Simon.  

 

Entretien partagé - Wajdi Mouawad : Incendies 3/3

De quoi l’auteur s’est-il inspiré pour écrire cette œuvre ? 

L'auteur s’est inspiré de sa vie et de son enfance. Il est né au Liban et a été obligé de fuir son pays en guerre pour se réfugier en France en 1978 mais sa famille n’a pas obtenu de visa et a finalement été obligé d’émigrer au Québec (Canada). Il s’est inspiré de sa double culture libanaise et Canadienne. Comme lui, l’héroïne Nawal est née au Liban et à immigré au Canada. Mais Nawal a bien plus souffert de la guerre. 

 

À quel personnage trouvez-vous que l’on puisse le plus s’attacher ? Pourquoi ? 

Le personnage auquel je me suis le plus attaché est Simon car c’est un personnage très charismatique : c’est un personnage très brut, très cru, bagarreur de caractère. Il est aussi nerveux et impatient, ce qui l’a amené à des querelles avec sa sœur à propos de leur mère de nombreuses fois quand elle gardait le silence et qu’il ne comprenait pas, ça l’énervait. Il ne voulait même pas partir à la recherche de sa famille quand le notaire lui a remis la lettre de son testament. Tout au long de la pièce, on le voit évoluer, progresser et enfin comprendre tout le sens de la vie de sa mère, une vraie élévation spirituelle et un personnage aux émotions transparente même s’il essaye de les cacher dans la boxe. 

À quelle œuvre auriez-vous envie d’associer la pièce ? 

L’œuvre me fait penser à une série que j’ai regardée sur Netflix et qui s’appelle Fauda. C’est une série sur la guerre israélo-palestinienne où un agent israélien s’infiltre en Cisjordanie pour déjouer des plans terroristes. On retrouve le thème des atrocités de la guerre, dans le même environnement orientale, sale et poussiéreux si je devais le décrire où la guerre est omniprésente, les attaques et les morts sont devenues le quotidien des habitants. 

Connaissez-vous une adaptation / mise en scène de cette œuvre ? Quel regard portez-vous sur elle ? 

Je connais deux adaptations de cette œuvre :  

La pièce de théâtre mise en scène par l’auteur lui-même, Wajdi Mouawad, en 2006 au Théâtre 71 à Malakoff pour la radio et diffusée sur France Culture et que l’on peut écouter en libre accès sur Youtube.  Pour cette adaptation d’Incendies, il a voulu raconter une histoire qui soit compréhensible uniquement en l’entendant. C’est l’histoire d’une mère qui décide un jour de ne plus dire un mot. La pièce a été réécrite et modifiée au fur et à mesure des répétitions avec les acteurs   pour l’adapter à une mise en scène audio. Certaines scènes étant trop liées à l’image ont été totalement réécrites ou enlevées. Il a cherché à évoquer les images uniquement par le son, les voix, le texte et la musique. 

Il y a aussi l''adaptation cinématographique de Denis Villeneuve en 2010.  J'ai préféré l’adaptation théâtrale à celle du cinéma qui s’écarte trop de l’œuvre originale.  

Dans dix ans, si vous ne vous souvenez que d’un détail ou de quelques éléments de l’œuvre, de quoi s’agira-t-il à votre avis ? 

Si je me souviens d’un élément dans l’œuvre dans dix ans je dirais sans hésiter que ce serait le moment où Nawal surnommée la femme qui chante car elle chantait pendant son incarcération pour résister aux bourreaux, quand elle s’est faite violer par son fils sans le savoir, elle est tombée enceinte de deux jumeaux (Jeanne et Simon) qui ont été jetés dans une rivière glaciale la nuit près de la prison et ont miraculeusement survécu. Ça a été pour moi un moment très marquant, car il m’a beaucoup choqué de par la violence, la cruauté et “l’ironie du sort” (un coup de théâtre même) de la scène. 

 

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