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Publié par Yuna

Nawal,

Tu étais celle qu’on ne voyait et qu’on n’entendait plus. Tu fus pourtant admirée et écoutée. Lors de ta naissance, tes cris résonnaient comme ceux de tous les autres nouveau-nés. Alors que tu avais quatorze ans, tes soupirs amoureux pour Wahab ravirent son cœur. Bien plus tard, tes chants te laissèrent en vie dans la cellule numéro sept. Lorsqu’à quarante-cinq ans tu récupéras tes enfants chez Adbelmalak, tous savaient qui tu étais. Mais quand, le 20 août 1997, tu témoignas pour viol contre Abou Tarek, et que tu compris que ton violeur était ton fils, tu t’es tue.

Ta souffrance fut perçue par ta grand-mère, Nazira, lorsque ton enfant fut ravi de tes bras. Cette même grand-mère qui te demanda de rompre la chaîne de la colère, celle que tu avais contre ta mère, Jihane, et que ta mère avait contre la sienne, etc… Tu as appris à lire, tu as appris à écrire. Et tu as gravé le nom de ton aïeule Nazira sur sa stèle.

On se souvenait de toi comme d’une légende, mais une légende sans nom. Tu suscitais l’intérêt et la perplexité chez certains, comme Antoine Ducharme, ton infirmier, enregistrant passionnément ton absence de parole. Tous voulaient entendre ta voix, voir tes lèvres bouger. Tu n’accordas pas cela à tes enfants.

Des mots sans voix percèrent alors tes yeux, faisant cesser ton mutisme. L’histoire de ta vie s’inscrivit dans tes pupilles. De ta naissance dans ton village natal, au Liban, que tu quittas à 19 ans, aux épreuves que tu traversas. Sans que personne ne sache décrypter ton silencieux langage.

Ta vie fut semée d’embuches, d’épreuves et d’horreurs. Mère d’un enfant qu’on t’a retiré, qui fut et ton trésor et ton tortionnaire. Mère du fruit des péchés de ce dernier, femme porteuse du souvenir d’une guerre pas assez racontée, trop oubliée de tous. La froideur immobile et saisissante de la mort, le bonheur et l’amour, les cris et les larmes marquèrent ton visage.

Qu’adviendra-t-il de ton souvenir, de ton histoire, de ta vie et de tes silences ? De tes mystères, de tes aventures et de tes chants ? 

Lorsque tu expiras ce fut sur un silence, et non sur un soupir. Ce même silence qui jusqu’à ta mort te suivit.

La mort t’octroya un dernier baiser

Et tu t’éteignis sans un souffle.

 

Oraison funèbre - Nawal
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