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Publié par Clément

Le-Papalagui-2011.jpg

Source couverture originale

 

 

 Le Papalagui a été publié en 1920. Erich Scheurmann, l’auteur, prétend avoir recueilli les discours que Touiavii, chef de tribu d’une île Samoa, aurait tenus au retour d’un voyage en Europe pour décrire aux siens les mœurs du « Papalagui », c’est-à dire l’homme blanc. Fidèle au principe du regard décalé qu'utilisait par exemple Montesquieu dans ses Lettres persanes au 18ème siècle, Eric Scheurmann mène à travers les paroles d'un "bon sauvage" la critique de la civilisation occidentale. Des extraits sont à lire ici.

 

Les lycéens d'i-voix vous proposent leur version modernisée de cette oeuvre : Le Papalagui 2011 ...

 

 

http://aulas.pierre.free.fr/img/chr_ext_2008_papalagui.gif

  Source image

 

 

Le petit miroir qui reflète et détruit la vie

 

    Mes amis, mes frères de la grande Mer, vous ne connaissez pas encore toute la vérité sur le Papalagui. Il y a moins d’une lune, je suis revenu d’un grand mélaga qui me fit parcourir les grandes villes d’Europe, et j’ai pu constater que la maladie du Papalagui s’est encore plus accentuée et répandue que je ne l’aurais pensé.


    Après ma première visite en France, je vous avais parlé du lieu de la vie factice, cette hutte sombre et mystérieuse, qu’ils appellent cinéma. Avant, les européens s’y rendaient avec toute leur aïga, en fono,  et en de rares occasions. Aujourd’hui, la hutte même du Papalagui est devenue un petit lieu de la vie factice ! Tous les Blancs ont maintenant ce petit miroir qui reflète la vie, qu’ils appellent télévision. Bien entendu, le Papalagui doit verser beaucoup de métal rond et de papier lourd pour posséder cet objet, mais c’est avec grand plaisir qu’il troque son précieux salaire contre un besoin apparemment vital.


    Les européens sont fascinés par ce miroir. Certains plus que d’autres. La plupart l’installent sur un beau meuble en bois, le placent de façon à ce qu’il soit l’élément principal de la hutte ; la taille du miroir a aussi une grande importance, car cela représente un gage de réussite, et de supériorité par rapport à son prochain. Une fois la télévision établie sur son piédestal, le Papalagui la regarde, sans cesse, sans regrets envers les innombrables choses qu’il aurait pu accomplir dans un même temps. Certains Blancs ne sortent même plus de leurs coffres en pierre : ils ne restent en contact avec l’extérieur que par leurs petits miroirs, et les rares fois où ils décident de se promener, c’est pour se rendre au lieu de la vie factice. Ils ne prennent même plus le temps de s’intéresser au monde réel, à la faune, à la flore, à l’art… La nature est une merveille oubliée du Papalagui.


    Le Blanc adore sa télévision plus que tout au monde, la vénère plus que son dieu. Car le miroir montre au Papalagui ce qu’il a envie de voir, que le Blanc nomme un programme : il peut lui montrer des épisodes de la vie, imaginaires ou réels, des faits qui se sont produits le jour même, ou même des reportages sur nous, les Samoans. Si un programme ne lui plaît pas, il peut regarder autre chose. Ainsi il n’est jamais confronté à un avis différent du sien, et tout ce qui sort du miroir est vérité, et ceux qui osent prétendre le contraire sont des ignorants. Voilà la triste mentalité du Papalagui.


    Mais là n’est pas le plus terrible, mes frères, car le plus terrible est à venir. Comme sa vision du monde se borne à celle de son miroir, le Blanc ne considèrent pas les choses qui l’entourent avec la même pudeur que nous, les insulaires. Le Papalagui n’est pas un simple être humain. C’est une épidémie. Sa façon de penser, sa façon d’agir est contagieuse. J’en veux pour preuve les anciens membres de notre tribu, qui se sont laissés tenter par cette nouvelle forme de vie, allant à l’encontre des lois naturelles et de la morale, et qui décidèrent de migrer vers des horizons a priori plus propices. Bientôt, le virus gagnera nos côtes, et, à notre tour, nous tomberons dans les abysses de la société moderne.


    Tout cela arrivera si nous ne réagissons pas. Ne laissons pas le Papalagui engloutir notre culture, nos croyances ! Trop de frères se sont déjà faits enrôler, il nous appartient de conserver ce qu’il reste de notre civilisation. J’en appelle à vous, mes frères, à votre courage ! Le monde court à sa perte si nous le laissons entièrement aux mains du Papalagui. Repoussons-le lorsqu’il vient nous vendre sa superficialité, conservons notre mode de vie si simple et naturel !


    Alors, si un Papalagui vient à votre rencontre, mes frères, et vous proposent de monnayer son miroir qui détruit la vie, répondez lui que le seul reflet qui vaut tout le papier lourd et le métal rond du monde, c’est celui du soleil, des arbres, des étoiles et des montagnes renvoyé par l’azur de la grande Mer.

 

http://mediasports.imca.fr/files/2011/03/t%C3%A9l%C3%A9vision-280x280.jpgSource image


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