Présentation - Essais d'appropriation
« On ne cesse de criailler à nos oreilles d'enfants, comme si l'on versait dans un entonnoir, et notre rôle, ce n'est que de redire ce qu'on nous a dit. Je voudrais que le précepteur corrigeât ce point de la méthode usuelle et que, d'entrée, selon la portée de l'âme qu'il a en main, il commençât à la mettre sur la piste, en lui faisant goûter les choses, les choisir et les discerner d'elle-même, en lui ouvrant quelquefois le chemin, quelquefois en le lui faisant ouvrir. Je ne veux pas qu'il invente et parle seul, je veux qu'il écoute son disciple parler à son tour. »
« Qu'il ne demande pas seulement à son élève de lui répéter les mots de la leçon qu'il lui a faite, mais de lui dire leur sens et leur substance, et qu'il juge du profit qu'il en aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais par celui de sa vie. Ce que l'élève viendra apprendre, qu'il le lui fasse mettre en cent formes et adaptées à autant de sujets différents pour voir s'il l'a dès lors bien compris et bien fait sien, en réglant l'allure de sa progression d'après les conseils pédagogiques de Platon. Regorger la nourriture comme on l'a avalée est une preuve qu'elle est restée crue et non assimilée. L’estomac n'a pas fait son œuvre s'il n'a pas fait changer la façon d'être et la forme de ce qu'on lui avait donné à digérer. »
« Les abeilles pillotent [butinent] deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur; ce n'est plus thym ni marjolaine: ainsi les pièces empruntées d'autrui, il les transformera et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir son jugement. »
Montaigne, Essais, I, 26, « De l’institution des enfants », Extraits
A la lumière des conseils pédagogiques de l’humaniste Montaigne, les lycéen.nes i-voix vont tenter de s’approprier par l’écriture deux œuvres à leur programme de lecture, deux œuvres qui, du 16ème au 21ème siècle, de l’essai au roman, interrogent la rencontre entre les peuples et les cultures :
Œuvre au programme du français en 1ère :
Au 16ème siècle, l'humaniste Montaigne porte sa réflexion sur les "Indiens" du nouveau monde, que les Européens viennent de découvrir et de conquérir. Le chapitre "Des cannibales" (Essais, I, 31) est publié en 1580 ; le chapitre "Des coches" (Essais, III, 6) est publié pour la 1ère fois en 1588.
Lecture cursive :
Au 21ème siècle, le romancier Laurent Gaudé porte notre regard sur la question des migrations dans le bassin méditerranéen à travers l’histoire parallèle du commandant Piracci, chargé d’intercepter les embarcations des clandestins qui tentent d’accoster en Italie, et de deux frères soudanais qui entreprennent un dangereux voyage vers leur rêve européen. Le roman Eldorado est publié en 2006.
Et si pour lire ces œuvres, on s’inspirait de la pensée et de la méthode de l’auteur des Essais ? En particulier, de deux pratiques qui lui sont chères : la citation et la conversation…
1- Essais de citation
Les citations occupent dans les Essais une place considérable : Montaigne ne cesse de se référer aux auteurs antiques. Tantôt les citations se font au discours direct, tantôt l’auteur paraphrase des extraits en prose de grands écrivains, tantôt il fait des emprunts sans même citer la source. Les citations peuvent avoir une fonction esthétique, ornementale : Montaigne emprunte à d’autres ce qu’il ne saurait dire aussi bien qu’eux. Les citations jouent aussi un rôle argumentatif : elles servent d’exemples pour illustrer une réflexion abstraite ou d’arguments d’autorité pour placer la pensée de Montaigne dans la lumière de la sagesse antique. Les citations mettent encore en abyme le sens même des chapitres « Des Cannibales » et « Des Coches » : il s’agit de mieux connaitre les habitants du Nouveau-Monde pour mieux comprendre ce que nous sommes vraiment, il s’agit d’une invitation à accueillir en soi l’altérité. Les citations éclairent enfin ce que penser signifie pour l’humaniste Montaigne : l’humanisme est une pratique des auteurs anciens, une imprégnation culturelle, mais il ne s’agit pas de s’enfermer dans la tradition, il s’agit de s’en nourrir pour construire sa propre réflexion, d’accéder par la sagesse antique à l’autonomie de pensée, par la culture à la liberté.
Et si, à l’exemple de Montaigne, on faisait de la lecture un butinage, un "pillotage" ?
Les « sentences de la librairie » de Montaigne
Mission : Proposer sur le blog i-voix au moins 2 citations commentées des Essais de Montaigne et 2 citations commentées du roman Eldorado de Gaudé.
- Nature : court extrait de l’œuvre, jugé intéressant / percutant / beau / émouvant / significatif / éclairant / mystérieux / étonnant / contestable / puissant / original …
- Consignes :
- La citation doit être sourcée avec précision : livre-source, partie / chapitre, page
- La citation doit être numériquement mise en valeur : logiciels en ligne de mise en image / application mobile / insertion dans une photo personnelle / dessin / enluminure / enregistrement audio …
- La citation doit être commentée (au moins 5 lignes) = Pourquoi l’avez-vous choisie ? Quel sens lui donnez-vous ? En quoi résonne-t-elle avec votre propre expérience ou réflexion ? Quel enseignement en tirez-vous ? A quel effet de style avez-vous été sensible dans ce passage ? …
- Attention à la fidélité de la citation !
2- Essais de conversation
On représente souvent Montaigne retiré dans la tour de son château, dans cette bibliothèque qu’il appelait "sa librairie". Pourtant Montaigne cultivait aussi l’amitié comme celle qu’il noua avec Etienne de la Boétie. Dans le chapitre des Essais, « Des trois commerces » (III, 3), il compare ainsi les trois genres de fréquentation qui ont occupé la plus belle part de sa vie : les « belles et honnêtes femmes », les « amitiés rares et exquises », les livres. Montaigne dresse un parallèle entre l’amour, l’amitié et la lecture. Le « commerce» des livres et celui des hommes ne s’opposent pas mais se complètent : les livres, toujours disponibles, même s’ils offrent selon lui moins d’agréments, sont présentés comme le substitut des deux autres conversations.
Michel de Montaigne et Etienne de La Boétie
L’œuvre de Montaigne apparait d’ailleurs elle-même comme une conversation : entre Montaigne et les livres, entre Montaigne et lui-même, entre Montaigne et son lecteur.
Et si on aidait Montaigne à sortir de sa supposée solitude ?
Et si au lieu de converser avec les auteurs du passé Montaigne dialoguait avec un écrivain du futur ?
Michel de Montaigne et Laurent Gaudé
Notre écrivain « vient d’en trouver un autre » ! Voici, comme par magie, la rencontre étonnante entre Michel de Montaigne et Laurent Gaudé. La rencontre se déroule dans la « librairie » de la tour du château de Montaigne. Les deux écrivains échangent autour de leurs livres respectifs…
Mission : Ecrire une conversation entre Michel de Montaigne et Laurent Gaudé
Consignes :
- Le dialogue doit être équilibré : chacun des 2 personnages doit parler à peu près autant l’un que l’autre
- Montaigne a lu Eldorado, Gaudé a lu « Des Cannibales » et « Des Coches » : La conversation doit porter essentiellement sur ces œuvres = faire référence à des éléments précis des 2 œuvres (citations, passages, épisodes, personnages…) + éclairer les thèmes et enjeux propres à chacune des œuvres
- Le dialogue doit être soigneusement présenté et rédigé : maîtrise de la langue, créativité littéraire …
- Le dialogue peut être réalisé en binômes
Dans le scriptorium numérique i-voix - i-voix
http://i-voix.net/2020/10/dans-le-scriptorium-numerique-i-voix.html
Les lycéen.nes i-voix au travail