Confession - Nihad
Allah, j’ai violé. J’ai tué. J’ai torturé. Je suis un des plus grands pécheurs que tu aies créés. Aujourd’hui je me confesse, et je te supplie de m’écouter. Je parle, et c’est la dernière fois. J’écouterai le silence, la souffrance, la joie, sans bruit après cet aveu. J’aurai les oreilles ouvertes au monde, et je me tairai.
J’ai cherché ma mère des années. Je t’ai supplié ; j’ai pleuré à genoux. Jusqu’à en être fou. Nihad Harmanni l’enfant devint Abou Tarek le violeur, le bourreau, mais aussi le père.
Je l’ai trouvée, mais ne l’ai pas reconnue. Elle aussi me cherchait, m’a trouvé et ne m’a pas reconnu. Dans les vils traits qui l’ont torturée, comment reconnaître sa progéniture ? Comment voir son enfant dans ce monstre de haine et de délires fiévreux ?
Allah, la folie dans laquelle mon esprit s’est retranché ne l’a pas tuée car elle aimait sa voix, ses chants. Comme l’on aime celui qu’une mère fredonne pour bercer son enfant. Malgré cela, je suis entré dans sa cellule. Et brisant ce chant qui en moi faisait un écho si doux, qui réveillait en moi des douleurs et des douceurs exquises, j’ai abusé d’elle. Je suis entré dans l’alvéole numéro sept, et je l’ai violée. Elle a hurlé. Elle s’est débattue. Elle m’a griffé, m’a giflé, mordu. Comme toutes les autres. Dans les échos rauques de douleur de ses pleurs, j’ai senti la même cassure que dans les pleurs des autres victimes que j’avais soumises. La pute numéro soixante douze s’est courbée sous le joug. Comme toutes les autres.
Ceux qu’on m’accuse d’avoir tués, violés, ou torturés ne mentent pas : je l’ai fait. Après mes coups, les visages de mes victimes étaient toujours bien plus émouvants. Car, Allah, dans l’égarement de mon esprit, j’ai connu la beauté : celle de mon art, la photographie. Les moments de souffrance et de peur que j’ai volés à mes jouets, mes victimes, lorsque leur visage était déformé par les sentiments les plus laids, donnaient à mes clichés un aspect terrible et réel. Un aspect humain.
Poussé par la folie, que pouvais-je faire ? Que pouvais-je faire pour que la raison enfin m’éclaire ?
Deux lettres, écrites par la femme qui chante, m’ont été données par une femme et un homme : Simon et Jeanne. Mes enfants. Peut être les ont-ils lues ?
La première lettre s’adressait à Abou Tarek, le père de ces deux jeunes gens en face de moi, mais aussi le tortionnaire de leur mère. Je l’ai déchirée, déchirant par ce geste mes crimes commis dans la cellule numéro 7.
La seconde fut la plus terrible : c’était une lettre de ma mère, celle de Nihad Harmanni, qu’elle avait tant cherché. Et j’ai compris. Alors tout changea dans mon regard. Le nez de clown, symbole de ma naissance, représentait l’amour et la joie. Que j’ai piétinée tout au long de ma vie.
« Mais là ou il y a de l’amour, il peut aussi y avoir de la haine. » A-t-elle écrit. Bien courageuse fut ma mère, violée par son propre fils.
J’ai tout avoué, Allah. Il est venu pour moi le temps de laisser place au silence. Pour qu’à jamais les cris muets résonnent dans cette terrible atmosphère.