Incipit autobiographique - La fenêtre

Si là, comme ça, elle devait faire une description d’elle-même, ce ne serait pas évident parce qu’elle ne se perçoit pas de la même façon que les autres. Elle aurait tendance à donner plus de défauts que de qualités.

M, seize ans trois quart, bientôt dix-huit. Des yeux et des cheveux noirs qui la rendent « commune ». Cette fille-là est née à Brest et a passé son enfance dans un village, plus au nord. C’est là qu’elle a connu ses premiers amis, qu’elle essaye de voir le plus souvent possible. Elle est une fille gâtée, surprotégée, assez heureuse dans l’ensemble et ne se pose pas trop de questions, de peur de ne pas pouvoir y répondre.

M redoute le futur, pourtant si proche. Elle ne veut pas quitter la sphère rassurante et insouciante de ce qu’elle ose appeler encore « l’enfance ». Pourtant, lorsqu’elle regarde les autres, elle se dit qu’elle est en retard par rapport à eux. C’est vrai, elle a l’impression que tout leur réussit et que c’est tellement facile car ils sont sûrs d’eux, ce qui n’est pas son cas. Elle aime que l'on fasse attention à elle, comme tout le monde et se sent beaucoup plus à l'aise en petit comité plutôt que dans une foule. M est très réservée, c’est son principal défaut.

En fonction des personnes avec qui elle est, elle n’est pas la même. Plus d’aisance avec certaines personnes, discrète avec d’autres. On peut la considérer comme une personne sans importance, qui se fond dans la masse ; c'est souvent cette image qui ressort en premier. En fait, elle préfère être une personne à qui on se confie, à qui l'on parle librement, plutôt qu'une fille qui n'est là que pour rigoler. M n’est pas méchante ou bien si ça lui arrive de l’être, ce n’est pas elle, car elle a horreur de faire mal.

Peu de gens connaissent vraiment M car elle n’aime pas se livrer. Pudeur ou méfiance ? Et pour dire quoi ? C’est la même question qu’elle se pose en ce moment et qui la pousse à écrire.

La mémoire est quelque chose de très complexe. On dit souvent de quelqu’un qu’il a la mémoire sélective. Mais comment peut-il savoir ? Il se souvient, ou il ne se souvient pas, point. Pour M, c’est la même chose. Elle a de nombreux souvenirs, mais des fragments, jamais quelque chose de bien long. Surtout, elle ne garde que le meilleur.

Car il y a des jours où il faut se lancer, celui-ci est peut-être prématuré mais elle a fait le choix de commencer maintenant. Cela lui donne, mine de rien, un vertige et lui incite à faire un travail de réflexion auquel elle n’avait pas l’habitude. De quoi parler ? Comment le faire ? Comment raconter ? Avec du recul, c’est la meilleure chose à faire pour apprendre aussi à se -re-connaître. Un travail d’identité ; se remettre en question est un véritable examen de soi.

Elle écrit pour savoir si elle serait capable de retracer sa vie et pour faire une sorte de mise au point sur les faits marquants de son existence. Si toutefois il y en avait.

Quinze juillet. Au lendemain de la fête nationale et le jour de la saint Donald, un petit être rose pâle du sexe féminin, aux cheveux déjà fortement apparents et à la bouche aussi rouge qu’une fraise mûre fait son apparition parmi le personnel du service de pédiatrie de l’hôpital Morvan.

Ca, c’est fait.

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