Echanges avec Florence Jou
Le mardi 16 mars 2021, les lycéen.nes i-voix ont eu le bonheur de rencontrer Florence Jou, autrice de l'ouvrage Alvéoles Ouest et de la création numérique Kalces.
Voici un verbatim des échanges en mode prise collaborative de notes ...
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Pourquoi avez-vous choisi d’écrire de la poésie ?
A cette question l’auteure a répondu que d’écrire de la poésie n’avait pas été un réel choix. C’est de par ses expériences, la photographie, le théâtre et ses différentes lectures. Elle explique que toutes ces étapes sont un processus qui l’ont amené à l’écriture et donc à la poésie. C’est notamment un espace qu’elle trouve interdisciplinaire dans lequel elle est à l’aise, notamment car la poésie peut se marier avec d’autres langages tels que la musique, la photo...
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Quelles émotions avez-vous voulu transmettre dans ce recueil ?
L’auteure a plus voulu partager une expérience sensible et faire entendre des voix qui résonnent et qui se croisent. Elle n’a pas forcément cherché à faire passer des émotions précises. Elle voit un peu son poème comme une cavité innervée de liens sonores avec des voix qui se lient et se connectent. Cette métaphore est inspirée d’un philosophe.
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Avez-vous voulu tenter d’expliquer notre propre société par le biais de discussions entre des personnes “ordinaires” ? Si cela est exact, pouvez-vous m’expliquer les raisons de votre choix ?
L’autrice dit qu’elle ne peut pas expliquer notre société, son objectif était plus de rendre visibles des aspects de notre propre société, comme par exemple nos moyens de résistance, nos rapports de forces, et envisager le monde à venir en se demandant quels sont les espaces que nous pouvons créer et quels “champs de forces” nous pouvons trouver.
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Pourquoi avez-vous fait le choix d’intégrer un dialogue / monologue avec des personnes autres que vous ?
Pour amorcer des changements car elle ne fait pas de dialogues d’habitude, et pour que ça parte un peu vers le théâtre quand on le lit à voix haute (pour jouer la poésie).
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Pourquoi avoir divisé votre livre en 3 alvéoles ?
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Lors de l’écriture de son livre, Florence Jou avait carte blanche pour parler de ce qu’elle désirait et en différentes parties comme elle le désirait aussi et c’est suite à cela qu’elle a décidé d’identifier 3 périodes en particulier pour pouvoir en extraire certains termes. Les 3 périodes sont l’industrialisation, les moyens de production et reproduction et enfin les rapports de domination.
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Pourquoi avoir pris des conversations seulement entendues dans le café ?
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C’est parce que c’était un projet que sur le Grand café, ces dialogues proviennent beaucoup d’archives comme dans l’Alvéole 1 mais aussi de fiction, et de dialogue qui ont eu lieu entre Florence Jou et des anciens salariés de cet endroit quand le Grand café était des ateliers pour des ingénieurs.
Est-ce-que le fait d’avoir participé à “Kalces”, qui est un recueil très original, vous a ouvert les yeux sur le futur de la poésie ? Sur comment cette dernière évoluera avec les nouveaux outils numériques ?
Elle ne le sait pas, bien sûr mais elle trouvait ça intéressant de vivre cette aventure, de voir comment cette aventure allait être reçue par des lecteurs. La poésie est un genre trop vaste pour lui deviner un seul futur.
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Qu’est-ce qui vous plait dans la poésie ?
Ce qui lui plait dans la poésie est le fait de pouvoir condenser plusieurs choses qui lui passent dans la tête, plusieurs sentiments ou autres. Mais aussi de laisser libre cours à l’imagination du lecteur pour interpréter le poème. La question est aussi un peu obsolète car elle a dit qu’elle pensait arrêter la poésie.
Cette manière de condenser, de chercher des « bulles » où on découvre plusieurs sens, cela permet une interprétation plurielle, un langage qui ouvre des itinéraires pour le lecteur. Tout cela est comme un début de chant, et c’est au lecteur de le poursuivre.
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Vous abordez à plusieurs reprises le capitalisme et ses conséquences, pourquoi cela ?
L’autrice nous dit qu’au moment de l’écriture d’Alvéoles Ouest, elle lisait un livre sur le capitalisme patriarcal et qu’elle s’en est en quelque sorte nourrie, de surcroit elle pense qu’il est important de montrer l’importance des femmes et de s’interroger sur la place qu’elles occupent.
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A la page ? (“Des bascules il y eut, […] ils se cherchent), vous dénoncez clairement la révolution industrielle ayant fait apparaître le capitalisme et toutes ses conséquences. N’était-ce pas l’un des principaux messages que vous avez souhaité faire passer par l’écriture d’Alvéoles Ouest?
Lorsque Florence Jou a écrit ce passage, elle lisait un ouvrage portant sur le capitalisme qui expliquait le rôle que celui-ci donnait à la femme: faire des bébés pour renouveler la main d’oeuvre. Son objectif n’était pas forcément de dénoncer le capitalisme mais de “souligner” ce qu’il impose: les femmes restent à la maison. L’auteure interoge sur “quelle place vous allez chercher dans la société?”. Enfin, parler du centre d’armes météorologique invite à une vision plus écologique, “à être attentif à l’environnement qui nous entoure”.
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Dans l’Alvéole 3, vous écrivez “ casser les stéréotypes de l’art identitaire ”, qu’est-ce que l’art identitaire ?
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Les arts identitaires, sont les préjugés que se font les gens, avant même d’étudier le sujet. Ici par exemple, il fallait casser le stéréotype que Saint-Nazaire n’est pas qu’une ville portuaire, il existe d’autres facettes intéressantes de cette ville. Et ce sont ces stéréotypes-là,que Florence Jou, a voulu casser.
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Vous dîtes page 41, “Elle sait qu’elle doit casser les stéréotypes de l’art identitaire”, quelle est votre définition de l’art identitaire ? Serait-ce en lien par rapport au poids de ses paroles à elle dans un domaine “inhabituel” (entre guillemets évidemment) ?
C’est la directrice du centre contemporain qui parle puisqu’elle a été critiquée par les habitants ainsi que la politique locale car il fallait “préserver” le patrimoine. L’art identitaire est une expérience qui fait poser beaucoup de questions aux spectateurs qui ont tendance à s’identifier aux œuvres
Pourquoi pas de rimes?
Pour elle il y en a mais pas visibles. L’écriture est pour elle delà patte qu’on travaille. Auparavant avant d’écrire elle s’enregistrer, elle parlait en marchant. Elle passait ensuite à l’écrit. Elle cherchait du son du rythme, un travail de diction de souffle etc...Elle n’a jamais cherchée la simple versification.
Pourquoi avoir mis les vrais noms ?
Les éléments des poèmes sont des éléments du réel, elle voulais que ça sois leur prénoms pour un souci d’authenticité. Ils portaient leurs histoires, et c’était pour leur rendre hommage aussi. C’était la limite entre le documentaire et la fiction.
Un monde très fragmenté ?
Il n’y a pas un centre du monde possible, pour la directrice il n’y a pas d’art qui domine, il faut aller chercher partout de l’art. Expérience sensible. Elle veut faire entendre des voix, dans un espace, celui du livre ou de la performance. Elle veut faire résonner ces voix.
Explications de la société à travers les dialogues ?
Elle n’est pas professionnelle pour ça mais elle essaye de rendre visibles des aspects de la société. Comme dans le dialogue avec Éric et Amélie, des moyen d’auto défense, c’est pour rendre visibles quels seront aujourd’hui nos moyens de défense. Il y a des rapports de force, de domination dans notre société. Alors quels sont les espaces qu’on peut créer. Amélie par exemple ne veut plus être assignée à une endroit particulier. Elle veut savoir utiliser, prendre pleinement contrôle de son corps, avoir une force bien à elle. Son but est surtout de montrer comment avoir des interactions fortes et d’envisager le monde à venir.
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Dans l’œuvre Kalces, les poèmes sont mis sous forme numérique, pourquoi avoir choisis ce format ?
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C’était à la base fait pour une représentation avec 2 musiciens. Après la rencontre d’un graphiste et d’un photographe il y avait des maquettes, c’est l’éditeur qui a eu l’idée et à tout construit, car c’est un objet modulaire à plusieurs pôles. Il voulait inventer une zone interactive
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Qu’aimez-vous lire ?
J’aime beaucoup les livres d’anthropologie, la découverte de l’autre et de nouvelles cultures qu’on peut trouver dans ces œuvres. Je commence, en ce moment à lire des romans de science-fiction que je trouve aussi intéressants pour l’exploration de nouveaux espaces.
Un talent inné ?
Non, c’est un travail acharné, elle se considère encore comme débutante et elle considère qu’elle a énormément de choses à apprendre et découvrir.
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Quels sont les bons et les mauvais côtés du métier d’auteur ?
C’est un métier qui amène à explorer de nouvelles choses, il ouvre en quelque sorte des failles dans le système. Lorsque l’on est auteur, c’est comme ouvrir un rideau et découvrir plein de choses. Cependant, c’est un métier pour lequel il faut être vigilant, il faut persévérer, aller de l’avant malgré les stéréotypes qu’il peut y avoir comme celui du salaire. Il faut faire l’”effort” d’écrire mais pas forcément pour vivre.
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Page 16, vous faîtes une réflexion intéressante que je trouve plutôt ironique de votre part : “En pleine guerre froide, la Russie avait besoin d’isolation”, pourquoi l’avoir mis dans ce recueil ? Quel est le rapport ?
Cette citation est extraite d’une conversation avec Daniel, durant cet échange elle a retenu cette phrase hasardeuse (une habitude chez Daniel). Alors elle l’a trouvé drôle et l’a partagé dans son œuvre.
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Quelles études avez-vous faites pour devenir écrivaine ?
J’ai fait un bac littéraire puis une fac de lettres. Je ne savais pas trop quoi faire et on m’a dit que j’avais les compétences pour devenir professeure, c’est ce que j’ai fait, j’ai été professeure dans un collège. Puis, un peu après j’ai eu envie de reprendre mes études pour changer. J’ai fait une fac d’art plastique. Maintenant même si j’écris, je suis toujours enseignante. J’enseigne l’écriture et la performance à l’oral. En fait j’ai toujours aimé écrire des textes pour les jouer. Au final, je n’ai pas vraiment fait d’études POUR devenir écrivaine, c’est après que ça m’est venu.
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Vous baladez-vous avec un carnet et un crayon partout pour noter vos idées ? Ou le faites-vous sur votre téléphone ? Et sinon comment les retenez-vous ?
Pour retenir ses idées, Florence Jou utilise un dictaphone.
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De manière générale, dédiez-vous un temps particulier dans votre emploi du temps pour écrire ou trouver de l’inspiration ?
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Tout d’abord, elle n’aime pas le terme ‘inspiration’ car elle le trouve vague et dénué de sens : on n’écrit pas ce qui nous inspire mais le monde que l’on veut partager. Par la suite, le monde qu’elle souhaite partager lui vient en fonction de ses projets (par exemple l’enquête qui a conduit à Alvéoles Ouest), et ses projets d’écriture lui sont éphémères (elle s’est récemment lancée dans un écrit de fiction depuis 2 ans), ce qui revient à dire qu’elle écrit le genre qui lui plaît en fonction du monde qu’elle perçoit. Ses périodes d’écriture dépendent alors de ce qu’elle écrit et lui sont propres, selon son quotidien, sa phase et ses envies.
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Pourquoi avez-vous fait le choix de ne pas soumettre votre écriture aux règles de la versification ?
Florence Jou dit de la poésie versifiée que “ce n’est pas son endroit”. Elle n’a jamais écrit en vers, n’y a jamais pensé et n’est pas sûre d’en être capable. Néanmoins, selon elle, cela n’empêche pas une recherche de son, de musicalité, d’oralité du texte. Finalement, elle choisit de trouver “son endroit” dans un travail plus prosaïque.
Elle n’a jamais écrit en vers, elle ne pense pas en être capable, ou en tout cas ce n’est pas son domaine.Mais tout cela ne lui empêche pas de chercher des sonorités. Pour elle la poésie doit jouer avec une «oralité prosaïque»
Pourquoi avoir fait de la poésie?
Chemin d’expérimentation, photo etc ... toutes les expériences l’ont naturellement amenée à la poésie. La poésie et l’écriture sont un espace de recherche. Pour elle l’important est le processus, les zones par lesquelles on passe, les lectures etc... La poésie est pour elle un espace très interdisciplinaires, on apprend à composer avec les musiciens etc ... tout cela donne un véritable territoire possible.
Enquêtes dans d’autres villes ?
Elle est allée voir d’autre artistes, depuis 2015, début d’enquêtes. Nantes laboratoire photographe, il lui parle de son travail et elle écrit un texte et le met en scène dans un lieu où il exposais ces photos. Normandie enquête Valdereuille, résidence dans un lycée à Evreux, enquête sur la ville. Les enquêtes lui permet de se passer une commande a elle-même, elle essaye de rentrer dans l’histoire du lieu, elle aime chercher dans l’épaisseur du présent ce qui fait la grande histoire. Toutes les micro histoires, les conversations des gens etc.. Elle compare son travail à celui d’un archéologue. Elle veut voir de quoi est composé le présent en fouillant dans le passé.
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Après être arrivée à Brest, cela vous fait quoi par rapport à St Nazaire ?
Elle a été beaucoup frappée par la ressemblance entre Brest et St Nazaire. Cela lui donne envie de visiter et de mieux connaître Brest ...