Une lettre de Joachim Goriot à sa fille
LETTRE DE JOACHIM GORIOT
A SA FILLE AINÉE ANASTASIE
(lettre retrouvée dans ses affaires après sa mort)
Dessin d'Anastasie de Restaud, fille aînée du père Goriot, dans la robe offerte par son père que j'ai réalisé.
Très chère Anastasie, mon amour,
J'espère que tu te portes bien,
Voilà plus d'une semaine que je n'ai pu entendre le doux son de ta voix, ou ta belle silhouette dans ton habit de fortune. D'ailleurs, ma tendre fille, te plaît-elle cette robe ? J'ai eu écho qu'elle était de la toute nouvelle mode, ainsi, lorsque je l'ai vue, j'ai tout de suite imaginé le rose des dentelles mettre en avant celui de ta peau. Depuis ton enfance, j'ai toujours été fasciné par la couleur de celle-ci : elle est si pure et si brillante, parfaitement semblable à ton intelligence. Ton entièreté est d'une symétrie incroyable ! Je me demande chaque matin, en ouvrant les yeux, comment j'ai pu concevoir un être aussi parfait que toi. Dès que tu as vu le jour, j'ai compris ce qu'était l'Amour, le vrai. Cet amour incomparable qu'un père puisse porter à sa petite fille. Mon aînée, mon premier enfant. Je t'aime plus que tout au monde, et même si aujourd'hui, tes étreintes se font de plus en plus rares envers moi, et que je ne puis te voir tout les jours, sache que ton papa Goriot sera toujours près de toi, au dessus de ton épaule, à te protéger. Et cela, quoi qu'il arrive.
Souviens-toi, Ma très chère Anastasie, que mon seul bonheur est que le tien soit accompli, et que tu parviennes à accomplir tous tes désirs, toutes tes envies. Si, à travers tes visites moins fréquentes, ton bonheur est de m'éviter, ou de ne plus avoir affaire à moi, ainsi soit-il : je partirai, et cela sans aucune tristesse ou colère. Car je saurai que de la même manière que je veille sur toi, au dessus de ton épaule, toi tu me protégeras dans mes pensées et dans mon cœur. De toute manière, je te verrai toujours, oui ! Je t'imaginerai traverser une rue, au bras de Maxime ou de ton mari, et cela me remplira alors de sanglots. En effet, de te penser au bras d'un autre homme que moi, qui t'aimera à une puissance égale à la mienne, tu ne sais combien cela est plaisant. Partager mon amour pour toi ne me rend nullement jaloux, car si je le pouvais, je me multiplierais moi-même à l'infini pour que tu reçoives toute heure, du jour et de la nuit, la tendresse que tu mérites. Et après tout, j'entendrai toujours, quelque part, un inconnu parler de la beauté incomparable de Madame de Restaud.
Tu es la plus belle chose qui ne me soit jamais arrivé, Anastasie. Ne l'oublie jamais.
A bientôt j'espère,
Ton père qui t'aime.