Lettres persanes 2017 - Adolescence
Julien à Mona
A Naples
Cela fait trois mois que je suis à Paris et je dois te dire que les adolescents de cette ville n’ont rien à voir avec ceux que l’on peut voir à Naples. (...) Certains sont même décorés comme des vaches portant des anneaux argentés un peu partout sur leur corps. Certains pourraient meugler que cela ne me surprendrait pas.
Les objets rectangulaires sur lesquels ils passent le plus clair de leur temps me fascinent. S'il m'arrivait un jour de voir un adolescent qui n'en tient pas un dans la main, je pourrais parier que c’est parce qu’il n’a plus de batterie, tant il l'utilise. Ne pas avoir de téléphone est pour eux synonyme d’être coupés du monde qui les entoure, la où ça devrait être l’inverse.
Une fois, dans un transport en commun, j’ai voulu discuter avec une jeune fille, car j’ai vu qu’elle écoutait un chanteur que j’appréciais, ayant son âge. Et elle m’a ignoré. Elle m’a considéré comme un chien battu, une ombre dégoûtante, un rien. Elle a gardé ses insolents écouteurs dans ses oreilles.
D'’ailleurs ces écouteurs, ils les gardent aussi lorsqu’ils sont avec leurs proches. Ils ne s’intéressent pas le moins du monde aux autres. Parfois on peut entendre l’esquisse d’un salut entre eux, puis plus rien. Ils se désintéressent même de leurs parents. Samedi dernier je me baladais dans une rue commerciale, puis j’ai aperçu un fils faire les magasins avec sa mère. Elle voulait communiquer avec lui, heureuse de faire une activité avec son fils, son sang, la chair de sa chair. Elle lui parlait du temps qu’il faisait, de ce qu’elle comptait préparer à manger pour le soir, lui faisait remarquer que c’était fou à quel point il y avait du monde en ville le samedi après-midi. Et lui faisait presque comme si elle n'était pas là avec elle essayant d’avoir une conversation avec lui. Elle lui faisait juste office de porte-monnaie ambulant qui lui achète tout ce qu’il souhaite.
Oui, ici, les adolescents sont bien différents de ceux d'Italie. Si j’en avais le pouvoir, je leur dirais de lever la tête, d’ouvrir les yeux, d’observer le merveilleux monde autour d'eux, en constante évolution, mais cela me semble au-dessus de mes forces ou au-dessus des forces de n’importe qui.
A Paris le 6 octobre 2017