Verbatim - Rencontre avec Stéphane Bouquet
Le 31 mars 2022, au lycée de l'Iroise, les lycéen.nes i-voix ont rencontré le poète Stéphane Bouquet. Voici un condensé des échanges tels que captés sur le vif par les élèves...
Pourquoi utiliser des langues multiples dans les poèmes ?
Stéphane Bouquet a été traducteur et selon lui nous vivons dans la langue. Il adore apprendre des langues comme le latin ou le grec et les langues “inutiles”. Il trouve une beauté dans les signes qu’on ne comprend pas et qu’on doit déchiffrer (alphabet, langue). Il pense que nous sommes toujours en exil, que “notre problème c’est d’être né” et que nous devons donc rechercher le paradis propre à chacun. Selon lui on est toujours à l’étranger de soi et il écrit de la poésie parce qu’il est à l’étranger. Il y a des zones d’incompréhension. (Thomas)
On est toujours à l’étranger de soi.
Pourquoi utiliser des signes de ponctuations comme =, + ou encore – dans vos poèmes ?
SB aime les maths, il trouve que ça rend le monde plus complet, ça permet également d’écrire plus vite. Il aime aussi la symbolique des mathématiques et la relation entre les maths et la réalité. (Océane)
“Les singes imberbes
Que nous sommes devenus
Privés en outre
De la virtuosité des arbres” Pourquoi critiquez-vous les humains que nous sommes devenus ?
On est seulement des singes, et on ne sait même plus monter aux arbres, on manque en quelque sorte de modestie. (Cédric)
Dans “Le dimanche de l’année” du recueil “Le fait de vivre”, pourquoi avoir théâtralisé le poème ?
Stéphane Bouquet théâtralise ce poème pour montrer que ce n’est pas un style si différent que les autres de la littérature, que les genres peuvent circuler dans tous les sens. Cela peut faire référence à notre société, où tout le monde se mélange sans se poser de questions. (Juline)
Vous donnez-vous des règles dans l’écriture de vos poèmes ?
"Je ne me donne aucune règle, je me sens libre d’écrire comme je le souhaite. Et j’écris avec des abréviations (ex: jsp) pour accélérer le rythme, le rendre plus rapide. " (Solenn)
Dans le cahier des méditations p84, le fait d’écrire "cette leur bonté" montre-t-il une hésitation dans le choix des bons mots ?
Oui, effectivement, ce choix d’écriture montre une hésitation dans le choix des bons mots, d’ailleurs il y a toujours un choix des mots justes, et la vie est remplie d’épanorthoses pour reformuler jusqu’à trouver la formulation juste. Et "cette leur bonté" permet de montrer l’opposition entre cette bonté et leur bonté, la bonté est en même temps seule et en même temps elle appartient à des individus. (Elouan)
Vous évoquez souvent la mort, vous l’écrivez souvent dans l’Afrique-Amérique : “mortes de froid” “je serai mort sur le trottoir général” et vous évoquez aussi la survie, cette mort qui est évitée, je cite: “les escaliers de secours rouillés ont déjà sauvé dans l’hypothèse tant de gens “. Cette question de mort et de survie est-elle importante? Et pourquoi ?
Oui tout à fait j’évoque souvent la mort. C’est une idée qui ne me plait pas, de mourir un jour. J’en ai beaucoup parlé dans mes premiers poèmes puis on m’a dit que j’en parlais peut-être trop alors je me suis recentré sur la vie et on m’a fait la même remarque.
La poésie me permet de survivre, c’est un opérateur de survie. Le fait d’écrire pour quelqu’un permet de la garder en vie, j’essaie de croire à cette idée même si je sais que c’est impossible. (Louis)
La poésie me permet de survivre, c’est un opérateur de survie.
Comment voyez-vous la littérature en genéral ?
La littérature est un moyen qui ne sert pas à dire les choses mais à faire les choses, Stéphane Bouquet distingue plusieurs types de langages : affirmatif ou performatif. Pour lui, dans la littérature, l’objet n’est pas la parole mais l’effet qu’elle procure. (Ajyad)
Dans votre recueil Nos amériques vous dites “Der tod ist ein Meister aus/La mort est un maître venu d’où” que signifie ceci ?
Ce vers est inspiré d’un vers du poème Fugue de mort - “La mort est un maître venu d’Allemagne” de l’auteur nommé Paul Celan qui est d’origine juive allemande. Dans ce vers il parle des nazis qui ont tué sa famille et le fait aussi qu’il écrit dans la langue de ses bourreaux. Paul Celan s’est suicidé du Pont Mirabeau en hommage à Guillaume Apollinaire.
Sous le pont Mirabeau
Coule Paul Celan
Vos titres ont-ils une signification et si oui laquelle ?
Les titres ont bien une signification, par exemple “tristesse Victor” qui est un poème d’amour malheureux et qui est un clin d’œil au vieux français où il y avait encore des déclinaisons. En général, les titres ont soit une approche rhématique (il dit quelque chose sur la forme du poème) soit une approche thématique (il dit quelque chose sur le fond du poème). Dans ce cas précis, il veut faire une ouverture thématique. (Fragan)
Quel poète a été votre source d’inspiration, votre “idole” ?
Il y en a plusieurs qui l’inspirent comme François Villon, Joaquim Du Bellay, Paul Verlaine mais lui il apprécie particulièrement Guillaume Apollinaire car il retrouve en lui une puissance du chant, il sait faire chanter la mélancolie comme si c’était simple alors que ça n’est pas le cas. Il est en accord avec la conception de la poésie d'Apollinaire, moins avec celle de Mallarmé. La poésie est du côté de la vie et de la clarté plus que de la littérature et de l'hermétisme. (Ahmad)
Stéphane Bouquet veut écrire des poésies qui sont claires, que l’on peut lire et comprendre il n’a pas envie que la poésie soit quelque chose d’abstrait contrairement à Mallarmé qui considère que la poésie est ne énigme et que le lecteur doit chercher sa clef. (Raphaël)
Apollinaire sait faire chanter la mélancolie. Comme si c'était simple, alors que ce n'est pas le cas.
Combien de temps mettez-vous à produire un poème ?
Pour ses premiers poèmes, cela pouvait prendre seulement une après-midi. Actuellement, il peut prendre jusqu’à 3 mois pour écrire un poème. Il a supprimé la publication de ses premiers poèmes. (Antoine)
Quel est le poème que vous avez préféré écrire ?
Un poème qui s’appelle "Lumière de la fille" car il le trouve plus proche de lui, de sa voix et c’était la première fois qu’il trouvait une bonne forme pour ses poèmes. (Audrey)
Préférez-vous la poésie plutôt abstraite et fantastique ou bien plutôt proche de la réalité ?
Je préfère de loin le réel et le proche de la réalité, ce qui se rapproche de la réalité et de la vie, les choses concrètes, même les choses plus vulgaires comme le sexe qui crée la vie et qui est essentiel. Je n’aime pas les mots poétiques, qui ne font pas réel. L'abstrait ne m’intéresse pas. Je n’aime pas le fantastique ou l’abstrait comme la science-fiction, ce n’est pas réel. (Lilou B)
Pourquoi ce choix de versification ?
Pour attirer le regard avec par exemple des vers courts et des vers longs. Le but est de jouer sur le regard et pas seulement sur le sens ou le son. De même concernant le flux. (Oéna)
Comment définissez-vous le mot poésie de nos jours ?
"Sense, sound and sight" ! La poésie c’est du sens, du son et de l’aspect visuel. Dans ce domaine, le fait de transmettre un sens ne domine pas. C’est prendre du recul sur le sens pour faire entrer d’autres aspects et ainsi faire circuler des sensations. (Maïna)
Sight, sound and sense.
Trouvez-vous que la poésie dite “traditionnelle” est tombée en désuétude de nos jours ?
La poésie classique est toujours utilisée, c’est simplement que l’éventail des techniques s’est ouvert. La poésie classique n’est plus en position dominante mais continue à être utilisée et renouvelée, comme par exemple avec le poète belge William Cliff, qui écrit toute sa vie uniquement en alexandrins, ou encore Robert Marteau, qui n’écrit que des sonnets sur les oiseaux. (Anaée)
"Personne ne se doute que les jours sont des dieux” : Qu’entendez-vous par là ?
Selon lui, les dieux sont plus proches que ce que l’on pense, on doit respecter chaque personne que l’on rencontre comme un dieu car pour nous il peut l’être. La divinité se trouve dans Lundi, Mardi, Mercredi... Les dieux ne sont pas à placer là où on les place d’habitude comme au mont Olympe. (Samuel)
Comment avez-vous choisi les couvertures de vos œuvres ?
Stéphane Bouquet choisi lui-même ses couvertures. Il préfère les photographies plutôt que la peinture parce que c’est plus moderne. La couverture de Nos Amériques lui inspire l’étreinte, la caresse, le deuil et la mélancolie. La couverture de recueil Le fait de vivre est une référence à un peintre allemand et représente la vie d’un groupe. (Elisa)
Pourquoi avez-vous commencé à écrire ? Quelles émotions voulez-vous véhiculer dans vos poèmes ?
Pour lui, la littérature était une sorte de refuge, c’était un réconfort et c’était une source de consolation à l'adolescence. Un moyen de fuir les problèmes, fuir la vie et se concentrer sur quelque chose qu’il aime. Il veut véhiculer la vraie vie, ce qu’il se passe réellement.
La poésie est une consolation.
En quoi consiste le métier de poète ?
Être poète consiste à avoir d’autres métiers qui nous permettent d’avoir assez de temps pour écrire de la poésie. De trouver des façons de gagner suffisamment d’argent pour vivre et avoir assez de temps et de disponibilité d’esprit pour écrire de la poésie. Stéphane Bouquet essaye de faire des métiers qui tournent autour du métier d’écrivain comme critique littéraire, scénariste puisqu’il dit que c’est une des seules choses qu’il sait faire.
Pour ce qui est du métier à proprement parler, son habitude est d’écrire lorsqu’il est au lit ou en marchant, mais il n’écrit jamais assis sur un bureau (c’est ce qu’il appelle des tics d’écriture). Il dit que quand on écrit notre corps ne sert pas à grand-chose, qu’il est “un peu en trop”, qu’on n’en a pas vraiment besoin. Il faut réussir à l’occuper pour que la pensée puisse circuler.
Pour écrire il s’inspire des choses, des évènements, des gens qui peuvent avoir un impact sur lui, lui faisant un certain effet dont il a envie de garder trace. (Maud)
Album - Rencontre Stéphane Bouquet - i-voix
http://i-voix.net/2022/04/album-rencontre-stephane-bouquet.html
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