Cas de conscience de Louise de Rênal par Lou-Ann
Amour et remords,
Monologue de Mme de Rênal
pendant le chapitre 19, après la page 142 ligne 130, tome 1
Mon enfant est malade, par ma faute, par mon adultère. Dieu me donne une punition divine que je mérite. Je me sens si coupable de l'avoir fait, et pourtant tant de sentiments se bousculent en moi...
Ai-je fini par tomber amoureuse de Julien ? Je ne le veux pas. Mon mari est maire, il m'offre une vie digne de ce nom, une famille, une demeure magnifique et un rang d'importance. Pourtant, moi je n'ai pas été digne de ce qu'il m'offre, en le trompant avec Julien. Je me sens dégoûtante, ingrate, inférieure. Seulement avec Julien tout est si facile…
Mon mari me fait vivre dans son ombre, et je ne ressens rien de transcendant pour lui. Avec ce jeune homme, je me sens libre, belle, intéressante, désirée…
Mais lui ne m'offrira jamais une telle vie, un tel rang. Comment ai-je pu être aussi naïve, au point de tomber dans ses bras ? Comment ai-je pu succomber à son charme ? Ma raison m'ordonne de me ressaisir. Mon enfant subit les conséquences de mes actes, et je suis prise de tellement de remords… Si seulement j'avais écouté mon amie Mme Derville, peut-être n'en serai-je pas là.
Mon cœur me dit de fuir cette vie, qui peut-être au fond m'ennuie un peu, et de partir vivre le grand amour, le coup de foudre, celui qui n'arrive qu'une seule fois. Chaque émotion me transperce et me tourmente.
Je ne peux m'y résoudre. Pourtant il faut que je fasse un choix. Dieu va continuer à me punir, si je ne met pas un terme à ce triangle. Je vais l'avouer au grand public, cet adultère. C'est moi et moi seule qui doit en subir les conséquences. Même si cela me détruit, réduit en miette mon mariage, ma vie, ma famille… Je me dois de le faire.
Mon fils ne peut pas souffrir à ma place. Je dois être punie. Sinon il faut que Julien parte, loin de moi, que je me détache définitivement de lui, que je perde peu à peu cette flamme ardente d'amour qui me brûle et que je redevienne une femme fidèle pour mon mari, ne tombant plus jamais sous le charme de cet homme. C'est une décision si dure à prendre, mais c'est celle qui impacterait le moins ma vie et la sienne.
Dans le fond, pourquoi serai-je rebelle au point de me refuser une vie de noblesse pour de l'amour ? C'est ce que ma raison se demande. Mon cœur connaît la réponse à cette question : parce que je n'ai jamais ressenti une telle passion. Mais voilà la solution la plus simple; il faut que Julien Sorel parte, et que toute trace de notre romance s'évapore.
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Passage qui précède le monologue dans l'édition en ligne, soit une partie du chapitre 19 tome 1, page 142, 143... :
"— Va-t’en, lui dit tout à coup madame de Rênal en ouvrant les yeux.
— Je donnerais mille fois ma vie, pour savoir ce qui peut t’être le plus utile, répondit Julien : jamais je ne t’ai tant aimée, mon cher ange, ou plutôt, de cet instant seulement, je commence à t’adorer comme tu mérites de l’être. Que deviendrais-je loin de toi, et avec la conscience que tu es malheureuse par moi ! Mais qu’il ne soit pas question de mes souffrances. Je partirai, oui, mon amour. Mais, si je te quitte, si je cesse de veiller sur toi, de me trouver sans cesse entre toi et ton mari, tu lui dis tout, tu te perds. Songe que c’est avec ignominie qu’il te chassera de sa maison ; tout Verrières, tout Besançon, parleront de ce scandale. On te donnera tous les torts ; jamais tu ne te relèveras de cette honte…
— C’est ce que je demande, s’écria-t-elle, en se levant debout. Je souffrirai, tant mieux.
— Mais, par ce scandale abominable, tu feras aussi son malheur à lui !
— Mais je m’humilie moi-même, je me jette dans la fange ; et, par là peut-être, je sauve mon fils. Cette humiliation, aux yeux de tous, c’est peut-être une pénitence publique. Autant que ma faiblesse peut en juger, n’est-ce pas le plus grand sacrifice que je puisse faire à Dieu ?… Peut-être daignera-t-il prendre mon humiliation et me laisser mon fils ! Indique-moi un autre sacrifice plus pénible, et j’y cours.
— Laisse-moi me punir. Moi aussi, je suis coupable. Veux-tu que je me retire à la Trappe ? L’austérité de cette vie peut apaiser ton Dieu… Ah ! ciel ! que ne puis-je prendre pour moi la maladie de Stanislas…
— Ah ! tu l’aimes, toi, dit madame de Rênal, en se relevant et se jetant dans ses bras.
Au même instant, elle le repoussa avec horreur.
— Je te crois ! je te crois, continua-t-elle, après s’être remise à genoux ; ô mon unique ami ! ô pourquoi n’es-tu pas le père de Stanislas ! Alors ce ne serait pas un horrible péché de t’aimer mieux que ton fils.
— Veux-tu me permettre de rester, et que désormais je ne t’aime que comme un frère ? C’est la seule expiation raisonnable ; elle peut apaiser la colère du Très-Haut.
— Et, moi, s’écria-t-elle, en se levant et prenant la tête de Julien entre ses deux mains, et la tenant devant ses yeux à distance, et moi, t’aimerai-je comme un frère ? Est-il en mon pouvoir de t’aimer comme un frère ?
Julien fondait en larmes.
— Je t’obéirai, dit-il, en tombant à ses pieds, je t’obéirai quoi que tu m’ordonnes ; c’est tout ce qui me reste à faire. Mon esprit est frappé d’aveuglement ; je ne vois aucun parti à prendre. Si je te quitte, tu dis tout à ton mari, tu te perds et lui avec. Jamais, après ce ridicule, il ne sera nommé député. Si je reste, tu me crois la cause de la mort de ton fils, et tu meurs de douleur. Veux-tu essayer de l’effet de mon départ ? Si tu veux, je vais me punir de notre faute, en te quittant pour huit jours. J’irai les passer dans la retraite où tu voudras. À l’abbaye de Bray-le-Haut, par exemple : mais jure-moi pendant mon absence de ne rien avouer à ton mari. Songe que je ne pourrai plus revenir si tu parles.
Elle promit, il partit, mais fut rappelé au bout de deux jours.
— Il m’est impossible sans toi de tenir mon serment. Je parlerai à mon mari, si tu n’es pas là constamment pour m’ordonner par tes regards de me taire. Chaque heure de cette vie abominable me semble durer une journée.
Enfin le ciel eut pitié de cette mère malheureuse. Peu à peu Stanislas ne fut plus en danger. Mais la glace était brisée, sa raison avait connu l’étendue de son péché ; elle ne put plus reprendre l’équilibre. Les remords restèrent, et ils furent ce qu’ils devaient être dans un cœur si sincère. Sa vie fut le ciel et l’enfer : l’enfer quand elle ne voyait pas Julien, le ciel quand elle était à ses pieds. — Je ne me fais plus aucune illusion, lui disait-elle, même dans les moments où elle osait se livrer à tout son amour : je suis damnée, irrémissiblement damnée. Tu es jeune, tu as cédé à mes séductions ; mais moi je suis damnée. Je le connais à un signe certain. J’ai peur : qui n’aurait pas peur devant la vue de l’enfer ? Mais au fond, je ne me repens point. Je commettrais de nouveau ma faute si elle était à commettre. Que le ciel seulement ne me punisse pas dès ce monde, et dans mes enfants, et j’aurais plus que je ne mérite. Mais, toi, du moins, mon Julien, s’écriait-elle dans d’autres moments, es-tu heureux ? Trouves-tu que je t’aime assez ?
La méfiance et l’orgueil souffrant de Julien, qui avaient surtout besoin d’un amour à sacrifices, ne tinrent pas devant la vue d’un sacrifice si grand, si indubitable et fait à chaque instant. Il adorait madame de Rênal. Elle a beau être noble, et moi le fils d’un ouvrier, elle m’aime… Je ne suis pas auprès d’elle un valet de chambre chargé des fonctions d’amant. Cette crainte éloignée, Julien tomba dans toutes les folies de l’amour, dans ses incertitudes mortelles.
— Au moins, s’écriait-elle en voyant ses doutes sur son amour, que je te rende bien heureux pendant le peu de jours que nous avons à passer ensemble ! Hâtons-nous ; demain peut-être je ne serai plus à toi. Si le ciel me frappe dans mes enfants, c’est en vain que je chercherai à ne vivre que pour t’aimer, à ne pas voir que c’est mon crime qui les tue. Je ne pourrai survivre à ce coup. Quand je le voudrais, je ne pourrais, je deviendrais folle."
Présentation - Ecritures d'appropriation Stendhal - i-voix
Julien Sorel : esthétiques et valeurs ? Œuvre intégrale : STENDHAL, Le Rouge et le Noir (1830) Parcours associé : Le personnage de roman : esthétiques et valeurs Tentatives de problématisatio...
http://i-voix.net/2021/05/presentation-ecritures-d-appropriation-stendhal.html