Cas de conscience de Julien Sorel par Lou-Anne
Chapitre LXXII : page 483 de la deuxième partie
Ah çà ! voici qui est plaisant : depuis que je dois mourir, tous les vers que j’ai jamais sus en ma vie me reviennent à la mémoire. Ce sera un signe de décadence…
Mathilde lui répétait d’une voix éteinte : Il est là, dans la pièce voisine. Enfin il fit attention à ces paroles. Sa voix est faible, pensa-t-il, mais tout ce caractère impérieux est encore dans son accent. Elle baisse la voix pour ne pas se fâcher.
— Et qui est là ? lui dit-il d’un air doux.
— L’avocat, pour vous faire signer votre appel.
— Je n’appellerai pas.
— Comment ! vous n’appellerez pas, dit-elle en se levant et les yeux étincelants de colère, et pourquoi, s’il vous plaît ?
La Gloire ou la Mort ?
Julien pendant un instant hésita tout de même, Mathilde avait-elle raison de vouloir qu'il signe l'appel, elle se tenait devant lui attendant une réponse mais Julien était perdu dans ses pensées :
-" Je devrais signer ce bout de papier, il est vrai que Mathilde s'est donner corps et âme pour me sauver. Nous avons d'ailleurs un enfant. Elle l'élèvera très bien.
Comment ai-je fait pour me retrouver là ? Comment ai -je pu blesser la femme que j'aime qui me soutenait ? Elle m'aime d'un amour tellement doux. Je ne peux que me repentir de mon acte abominable.
Il est vrai que je pourrais signer ce papier. Après tout j'ai maintenant atteint un rang prestigieux : marié à la fille du Marquis de la Molle, n'était-ce pas là mon ambition ?
Mais je ne peux vivre dans un monde ou l'on n'accepte pas les personnes de mon rang. Et puis je n'ai rien accompli. Le seul prestige dont je peux me vanter, c'est d'avoir courtisé une demoiselle. Où sont les guerres napoléoniennes qui me faisaient rêver ? Ou est ce monde où la supériorité du rang n'existe plus ? "
Julien sentit le désarroi monter en lui, il s'assit alors sur son pauvre lit de cellule.
-" Ce monde est encore plus froid quand je n'ai pas Louise à mes côtés, elle m'aime tant. Vivre dans un monde sans elle m'est impossible. Faire comme si il ne s’était rien passé alors que nous avons échangé nos plus douces paroles et que je l'ai blessée, que j'ai failli la tuer. Cela m'est impossible à concevoir.
J'ai tout échoué, rien de ce que j'ai pu accomplir n'est admirable. Madame de Rênal. Je ne veux pas signer cette lettre. La mort pour moi est la seule chose que je peux faire qui soit dans mes valeurs. Je souhaite donc mourir tant qu'il me reste encore ce courage. "