Histoire - Le regard des Français sur la colonisation en 1931

Brochure publicitaire pour l'Exposition coloniale
D'après Paul Reynaud (1878-1966), ministre des colonies, l'exposition coloniale aurait pour but de "donner aux Français conscience de leur Empire, afin que chacun d’entre nous s’en sente citoyen" dans son discours lors de l'inauguration de l'exposition coloniale. En effet, à cette époque, la France est le seconde empire au monde derrière la Grande-Bretagne, avec près de douze millions de kilomètres carrés de territoires et soixante-trois millions d'habitants répartis sur tous les continents. Cette volonté est confirmée par le slogan de l'exposition : "le tour du monde en un jour", et donc la pseudo-visite des colonies Françaises. Ici sur la brochure, on observe la représentation des parties du monde, telle que le visiteur peut l'apercevoir lors de l'exposition coloniale, par les différents personnages stéréotypés : l'Asiatique, l'Africain, le Nord-Africain et l’Amérindien. L'exposition coloniale cherche à rapprocher le peuple Français métropolitain des autres colonies.

Brochure par Jean-Victor Desmeures, 1931
Le Maréchal de France Hubert Lyautey (1854-1934), directeur de l'exposition et résident général du Maroc, justifie cette exposition coloniale par : "montrer que si les méthodes diffèrent, il y a unanimité parmi les nations civilisées pour comprendre la civilisation comme l'exercice d'une haute mission de fraternité humaine". L’Etan français cherche à convaincre l'opinion publique du bien-fondé des conquêtes coloniales, à la sortie d'une crise économique mondiale (1929) et à l'apothéose de l'empire colonial et de la IIIème république, afin d’homogénéiser le point de vue des Français. L’État insiste sur la mission "civilisatrice" (document ci-dessous), par la construction de routes, de ponts, d'écoles et d’hôpitaux. L'exposition rassure le visiteur sur l'état de l'empire placé sous la protection de la France. La réalité de la colonisation est bien différente. En effet les colonies Françaises sont avant tout des colonies d'exploitation, chargées d'exploiter leurs matières premières. L’intérêt économique de la France passe avant le droit des populations indigènes, qui sont soumises au travail forcé. Le chemin de fer représenté ci-dessous, construit entre 1921 et 1934 au Congo, a couté la vie de 20 000 autochtones, morts au travail.

La Une du Petit Journal (1924) qui illustre la construction du chemin de fer, sans évoquer le travail forcé des populations indigènes
Le parti communiste français, bien que minoritaire dans les années 30, conteste l'exposition coloniale: "contre l"exposition colonialiste de Vincennes !" Depuis la conférence de Berlin en 1985, la course aux colonies est un enjeu majeur pour les peuples européens. La possession d'un empire est une évidence pour la population, remise en cause néanmoins par le partie communiste. Le P.C.F. (parti communiste français) se démarque des autres parties de gauche par sa pronation de l'indépendance des colonies en plus de la défense des ouvriers ; le tract ci-dessous en atteste :"Pour soutenir la lutte révolutionnaire des ouvriers et des paysans dans les colonies !". Ce sont notamment le travail forcé, comme nous l'avons vu ci-dessus, la privation de liberté, symbolisée par l'indigène attaché, et l’impérialisme que combat ce parti. L'exposition coloniale étant la représentation de toutes ces valeurs, le P.C.F. la boycotte donc.
Le "code de l'indigénat", témoigne bien de l'absence de liberté des autochtones. Adopté en 1881, il conditionne les indigènes et travailleurs immigrés aux travaux forcés, à l’interdiction de circuler la nuit, aux réquisitions, aux taxes sur les réserves et à un ensemble d’autres mesures tout aussi dégradantes. Outrepasser ces lois est passible de prison ou de déportation. La vitrine qu'offre l'exposition coloniale n'est pas conforme à la réalité de la colonisation.
Le parti communiste français organisa une manifestation qui fut néanmoins un échec : la contre-exposition coloniale. Celle-ci avait pour but de montrer : "la vérité sur les colonies", à travers une exposition présentant les horreurs des conquêtes coloniales et des colons morts pendant la guerre de 1914-1918. Elle attira seulement 5000 visiteurs au plus, contre 8 millions pour l'exposition coloniale.

Tract du partie communiste français en 1931

Code de l'indigénat, ici à Constantine, le 28 Décembre 1904

Tract pour la contre-exposition coloniale, 1931
Les auteurs surréalistes, comme Louis Aragon (poète) ou encore André Breton (poète et écrivain) dénoncent cette exposition coloniale, et encore une fois les valeurs de la colonisation. Ils dénoncent la capitalisme français : "Aux discours et aux exécutions capitales". C'est en effet ce capitalisme qui conduit au travail forcé dans les colonies : "que le travail forcé préside à cet échange monstrueux". Ce même capitalisme est bien représenté par les figures bourgeoises présentes aux côtés du président de la république, citées dans le texte : "de l'Empereur Annam, du Cardinal Archevêque de Paris". Ces auteurs dénonce aussi la violence présente dans les colonies : "il n'est pas de semaines où l'on tue, aux colonies". Enfin ils dénoncent le racisme, justifiant en grande partie le colonialisme de l'époque : "notre qualité de blancs, nous qui disons hommes de couleurs, nous hommes sans couleurs". On peut dire que ce sont les précurseurs du mouvement anti-colonialiste qui s'installera en France et dans les colonies les décennies suivantes, avec à la clé l'indépendance des colonies et par exemple l'accord de Genève en 1954.


Tract de 1931, par Louis Aragon, René Crevel, Maxime Alexandre, Georges Malkine, Georges Sadoul, André Thirion, Pierre Unik, René Char, Paul Éluard, Benjamin Péret, Yves Tanguy, André Breton
L'exposition coloniale de 1931, reste une manifestation largement approuvée par la population Française, en témoigne son nombre de visiteurs. Justifiée par le racisme, le capitalisme et la volonté de l’État d'unifier la France et les colonies, cette exposition nous montre bien le mode de pensée de l'époque. Elle fut minoritairement contestée par le partie communiste français ou les auteurs surréalistes. Il faudra attendre le début des années 1950 pour que les colonies françaises acquièrent l'indépendance (Cambodge en 1953, Maroc en 1956 Algérie en 1962...)