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Publié par Fanny

Pourquoi mon outil, à moi qui est celui, à l'inverse, de la fiction, de l'empathie, ne pourrait-il pas s'emparer de ces destins ? Ou plutôt dit d'une autre manière ; j'avais envie d'entendre des mots résonner comme ceux de courage, comme ceux de volonté qui sont interdits du champ lexical journalistique, on comprend bien pourquoi... Et moi j'avais envie d'utiliser ces mots là.

J'ai l'impression que votre génération est dans l'urgence de réparer les abîmes du passé.

Essai de conversation par Fanny

CONVERSATION IMAGINAIRE
ENTRE MONTAIGNE ET GAUDE

 

Ceci est un entretien qui a eu lieu en 2019 entre Laurent Gaudé et Montaigne. Ils échangent sur  leurs deux ouvrages. L'entretien se déroule dans la bibliothèque du grand écrivain du 16ème siècle qui a d'ailleurs pour l'occasion fait un voyage temporel. Je vous laisse découvrir leur conversation...

 

M : Bien le bonjour sieur, vous voici dans ma demeure, je vous en prie, joignez-vous à moi, dans mon coffre rempli d'un certain type d'or, le savoir inscrit dans ses écrits vous en savez quelque chose... Trêve de bavardages futiles ! commençons notre entrevue, je suis affaibli par ce voyage passionnant mais éprouvant, cinq siècles quand même ! J'ai d'ailleurs eu le juste temps de lire votre ouvrage. Donc nous allons nous entretenir ensemble, ceci est fort intéressant, il me semble que nous fûmes journellement comparés, ce qui attise ma curiosité. Notamment avec ce qu'appellent les rédacteurs de ce temps, deux œuvres : la vôtre,    Eldorado que j'ai lu, et les Essais, plus précisément les chapitres : "Des Cannibales" et "Des Coches", que j'ai rédigés jadis.

L.G : D'abord merci de m'inviter, de faire ce voyage. Je n'en savais rien de notre comparaison, c'est un beau compliment. C'est pour dire que c'est très improbable pour moi, à l'époque où je ne gagnais rien de ma plume et j'assume le fait d'avoir été entretenu par ma femme (sourire de L.G), me dire que grâce à un de mes ouvrages je me retrouverais en face d'un génie, j'ai l'impression d'avoir des hallucinations.

M : Alors selon vous, pour avoir votre pensée, comment pouvez-vous justifier cette comparaison ? Qui d'ailleurs est fort déconcertante ne trouvez-vous pas ?

L.G : C'est qu'elles sont très différentes en effet mais sans aucune prétention, il y a un point commun assez marqué sur une chose qui est le thème regroupant plusieurs questions qui malgré le malheur et la détresse sont passionnantes. La rencontre entre deux mondes, mais aussi la peur de l'autre, l'eldorado  malgré les frontières, ce que nous dénonçons, c'est ça qui est très intéressant à comparer à travers ces deux œuvres.

M.: J'entends dans votre phrase un mot qui a déclenché chez moi le début d'une profonde réflexion durant ma  lecture de votre ouvrage, auquel je me suis moi-même questionné : l'eldorado, un mot très accentué dans votre ouvrage qui en est d'ailleurs le titre, c'est quoi ?

L.G: J'ai choisi ce mot en effet comme titre, car il est extrêmement ambigu, à partir du moment où on le prononce on sait que c'est faux, on sait très bien que l'eldorado n'existe pas. Pourtant le mot existe, pourtant on a besoin de caresser cette notion là en esprit, car j'aime bien cette idée qu'on ait besoin de ce petit rêve tout en sachant que c'est une fiction. Une question que je trouve intéressante, selon vous le rêve d'un eldorado est-il forcément un cauchemar ?

Essai de conversation par Fanny

 

M : Pour un esprit comme le mien, je vous réponds que oui car tout d'abord selon vos dires qui sont plutôt justes même si je ne cesserais de douter, l'eldorado est "une fiction" par conséquent cela provoque certainement une forte déception, alors la réalité rattrape le rêveur qui y a cru et finit au centre d'un désastre cette fois-ci bien réel. Vous savez, j'ai été à une époque lors de la rédaction des Essais l'un des  seuls esprits à être réalistes et avoir l'audace d'être fortement  sceptique et même à l' encontre de cette idée, je voyais ces gens produire cette erreur fatale pour les victimes qui n'en savaient rien encore, ces gens qui selon le terme actuel "colonisaient". Et ce fut une horreur. Pour en finir, si je ne me trompe guère, aujourd'hui, l'époque contemporaine ne cesse de l'affirmer. Alors qu'est ce qui vous a poussé à écrire sur ce sujet en particulier parmi tant d'autres ? Et pourquoi en avoir fait un ouvrage entier au lieu d'y consacrer différentes parties ?

L.G : Je pense n'avoir rien à ajouter sur votre réponse très complète qui me va totalement. Le roman est né  d'un sentiment de colère assez fort. Il faut se souvenir que bien avant, on entendait déjà beaucoup parler de ce thème, de ces destins tragiques par les journalistes de manière trop brève, cherchant une forme d'objectivité factuelle. Et je me suis dit : pourquoi mon outil, à moi qui est celui, à l'inverse, de la fiction, de l'empathie, ne pourrait-il pas s'emparer de ces destins ? Ou plutôt dit d'une autre manière ; j'avais envie d'entendre des mots résonner comme ceux de courage, comme ceux de volonté qui sont interdits du champ lexical journalistique, on comprends bien pourquoi... Et moi j'avais envie d'utiliser ces mots là.

M : Ce n'est pas contre vous, mais je suis fort attristé du fait que je dois trouver remarquable une telle envie, un tel engagement dans la cause que vous défendez qui est au final la nôtre car elles sont d'origine commune. Je ne sais pourquoi mais j'avais une pensée forte me disant qu'en ouvrant la voie, elle serait de plus en plus empruntée et que vers cette époque elle serait une voie indispensable au chemin des idées et j'éprouve une certaine déception envers les détenteurs de pouvoirs ressemblant encore trop à ceux que j'ai connus autrefois.

L.G : Je comprends mais j'essaie de rester positif et malgré ce triste constat, l'espoir est là, puisque je vois  grâce notamment à la montée au créneau des sociétés civiles, une prise de conscience à la tête du pouvoir et il faut encourager cela.

Essai de conversation par Fanny

M : Je suis pessimiste. Parlons écriture, j'ai remarqué une différence entre nos deux ouvrages, pour sensibiliser les deux mondes qui sont les nôtres ; vous, vous utilisez bien plus fréquemment la méthode pour persuader par vos sublimes figures de style, les registres que vous utilisez avec je trouve un bon dosage. Vous constatez, voyez vous ? Tandis que j'utilisais celle que je préférais de mon statut de philosophe, la méthode pour convaincre par des arguments, un plan plutôt structuré et des exemples même si les deux sont plutôt présents dans nos ouvrages si je dis vrai.

L.G : Vous savez, j'ai mon avis qui se manifeste légèrement dans mon livre en préservant l'envie de faire un  constat, et il est désastreux, alors je le montre comme tel. Mais le but avant tout est d'écrire un roman, de me détacher des recherches que j'ai pu réalisées pour me rapprocher au mieux de ce que j'aime faire qui est de raconter des histoires. J'ai constaté quelque chose dans les deux chapitres accentuant notre comparaison, un autre thème que j'ai été surpris qu'il apparaisse déjà à votre époque, très précurseur : le réchauffement climatique qui ne cesse d'être dans les actualités, comment ce thème vous est-il venu à l'idée ?

M : Cette question ne me fut dans le passé jamais posée. Premièrement j'ai l'impression que dans l'époque où vous êtes, depuis que je suis arrivé j'essaie de prendre connaissance de votre temps, vos idéaux, scandales et autres. J'ai l'impression que votre génération est dans l'urgence de réparer les abîmes du passé et les autres au suite des dérives de certains fous. Jadis, je fis quelque constat et rencontrai de nombreux grands esprits, cela se voyait, les dérives dans la santé de la faune et la flore. Alors oui, cela paraissait évident d'en rédiger quelques traits car cela faisait partie de ma pensée et mes doutes. Notre entrevue doit se terminer, je fus enchanté de vous avoir rencontré et vous remercie de l'invitation, aucun n'avait osé...

L.G: C'est mon éditeur qui a pris les choses en main car il connaît mon admiration pour vous, vos pensées, car comme les autres écrivains je n'ai pas la prétention d'être une personne prenant de votre temps ou plutôt de votre paix pour discuter de mon ouvrage futile à votre regard parmi les millions d'autres. Ce fut un véritable honneur d'échanger avec vous.

M: Je vous en prie, ayez confiance en votre personne. Quelle est la définition d'un "bon" écrivain ? Il n'y en a  pas, pas de critères à part celui de faire ce que vous aimez, écrire. Ce fut un plaisir pour moi également. Bonne fin de journée ainsi qu'une reconnaissance de votre époque pour votre don.

Essai de conversation par Fanny
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