Débat - Qu'est-ce que la barbarie ?
Montaigne, dans son essai Des Cannibales, pose de nombreux arguments pour soutenir sa thèse sur le sujet de la barbarie.
Seulement, qu’est ce que la barbarie ? Qui peut-être appelé barbare ?
Commençons par souligner, comme le fait l’auteur, le fait que, pour les Grecs, tout peuple étranger s’appelait « barbare ». Il se place dans une société semblable en tout point à la sienne, et, traversée par le courant humaniste, qui cherche à redécouvrir la littérature antique.
Pourtant, bien des défauts moraux que sa société reproche aux « barbares » s’avéreraient être, pour Montaigne, des qualités…
En premier lieu, ces populations, déclarées ignorantes par les colons, seraient en fait sorties « fraîchement de la main des dieux » : ils ne sont pas accaparés par les notions de la culture, ne sont pas abîmés par les artifices superflus qui ont pris possession des européens. Ils seraient, comme le dit Montaigne « simples et frustres » : par cela, le barbare serait honnête dans chacune de ses paroles, n’ayant pas d’interprétation sur ce qu’il voit, de préjugés.
De même, il compare leur simplicité à la nature, vivante et vigoureuse, qui à, à elle seule, toutes les vertus et les propriétés véritables. S’ajoute à cela le fait que toutes ses productions sont d’une beauté, d’une finesse et d’un goût qui n’est pas reproductible par la main de l’homme civilisé, qui ne fait que créer des choses dégradées. Le matériel original donné par la nature généreuse, il le transforme, et est incapable de reproduire ou d’égaler l’éclat qu’il dégage. De sa production ainsi ne se dégage qu’une fierté corrompue et aveugle.
Les étrangers, eux, profitant de chaque offre de la nature abondante, sont comparés à des fruits naturels, sains, sans artifices.
Leur pays de résidence lui-même témoigne du parfait environnement avec lequel ils communient : il est agréable et bien tempéré, les malades sont rares, et la nourriture nécessite tout au plus d’être cuite.
S’ajoute à cela le fait que les indigènes ont en eux une valeur de partage qui est bien naturelle : tout le monde vit sous le même toit. Tous appellent frères ceux qui sont du même âge, pères leurs aînés, et enfants leurs cadets. Les femmes, tout de même, ne sont pas contraintes par l’idée d’égoïsme : elles sont fières quand leurs époux ont de multiples compagnes, ce qui est un signe de bravoure.
Enfin, les pratiques, considérées comme inhumaines par beaucoup de contemporains de Montaigne, sont démontrées comme les plus saines et les plus admirables…
Le corps, nous dit l’auteur, doit être exploité jusqu’au bout, même après sa mort. Que ce soit à des fins scientifiques, pour renseigner la médecine, ou à des fins nutritives, fin à laquelle les cannibales font usage, et que les combattants du siège d’Alésia usèrent tout de même, toutes les raisons sont bonnes pour justifier cette appropriation, pouvant paraître sauvage, du corps humain.
Les barbares paraissent indomptables : pourtant, leur guerre a un motif noble et brave. Ce n’est pas, comme les européens ont pu le faire, une dispute pour de nouvelles terres, les leurs étant fertiles et suffisamment grandes. Ce n’est pas par désir d’acquérir ce que l’autre possède. Non, leur objectif à eux, hommes purs, est d’obtenir l’aveu de la défaite de son ennemi. Et par cet aveu, ils veulent dompter l’âme de leurs adversaires.
Dans leurs combats, il y a peu de morts : être tué ne signifie pas être vaincu.
Ce qui fait la qualité d’un homme, selon Montaigne, c’est son cœur et ses valeurs. Et c’est ça que le guerrier triomphant veut lui retirer. Son honneur
C’est pourquoi jamais les hommes faits prisonniers pour avouer leur défaite ne l’avoueront, et demanderont à subir les tortures qui leur sont tant contées, les horreurs qu’ils ont tant de fois entendues décrites.
Car les barbares sont braves, droits, libres et beaux.