Appréciation - Anne Malaprade
«LE GRAND JARDIN d'une maison bourgeoise. Fleurs et fruits, légumes, herbes odorantes, chat intrusif. Décor chargé, bibliothèques épuisées. On entend l'eau couler d'une fontaine avoisinante. La nuit une folle a hurlé, parlant de s'arracher les yeux, de couper la langue de ses ennemis, de crever les murs. Elle aurait pu sauter par-dessus les frontières, vociférer depuis l'intérieur, exiger l'universel pour tous.
Tu vas bien? Tu as encore faim ? Tu m'en veux ? Tu es triste ? Pourquoi grimaces-tu ? Que murmurent tes lèvres ? Qu'est-ce que tu lis ? À qui écris-tu ? Comment as-tu dormi ?Tu veux appeler tes parents ? Tu penses à tes élèves ? Tu aimes encore l'amour ? De qui es-tu l'orphelin ?
(...)
En retraversant des paysages familiers la campagne caricature nos souvenirs en parents pauvres. On continue les villes dans les campagnes le Jura dans la Bourgogne tout est fait pour dissiper la joie : redite retour reprise écœurement du même les filles n'en peuvent plus des mères les pères et les fils au loin ne nous regardent plus qu'avec intermittence. À L'arrivée je pleure dans la pluie je ne peux plus que dormir jusqu'au mourir il ne reste que la place du mort on se promènera en vain dans les cimetières on recopiera les dates on les apprendra on se réveillera peut-être quand la tristesse aura toutes nos forces épuisé.»
Anne Malaprade, notre corps qui êtes en mots (p. 58...)
J'ai beaucoup aimé le poème LE GRAND JARDIN pour l'originalité de l'écriture.
La description de la nuit est magnifique, elle donne l'impression que d'un moment à l'autre elle prend vie. « Elle aurait pu sauter par-dessus les frontières, vociférer depuis l’intérieur, exiger l'universel pour tous. »
J'ai apprécié le changement improvisé du thème : passant d'une description à une liste de questions qu'on lit d'un coup. « Tu vas bien ? Tu as encore faim ? Tu m'en veux ? Tu es triste? » Cela donne l'impression que l'auteur s'adresse à nous alors qu'elles ne sont pas pour nous.
Le fait de répéter à chaque fois « laisse moi » dans le troisième paragraphe donne plus d'importance au message qu'elle veut faire passer.
Elle nous ramène à la réalité en nous parlant du quotidien dans le quatrième paragraphe : « Je fais les courses, épluche les légumes, prépare les compotes. »
Dans la dernière partie ne pas utiliser de virgules nous oblige à tout lire très rapidement, avec la phrase finale qui se termine brutalement: «... on se réveillera peut-être quand la tristesse aura toutes nos forces épuisé.»