Dialogue entre Lorenzo et Andrea Del Sarto
SCENE II
A la Piazza del Grano à Florence
Entre LORENZO.
LORENZO
Ah tiens mignon, voilà plus d'une heure que je déambule entre les corps mornes de Florence. Est-ce donc ici que tu exposes tes soi-disant trésors ?
ANDREA DEL SARTO, surpris.
Ô Monseigneur, que me vaut l'honneur de votre visite ? Votre logis n'est pourtant pas la porte à côté.
LORENZO
Ton nom parasite mes oreilles depuis des jours au palais des Médicis. Il se trouve que ton talentueux maître, Casimo Rosselli, m'a beaucoup parlé de toi. Curieux comme je suis, l'envie m'est venue de faire ta connaissance ou plutôt celle de tes prétendus chefs-d’œuvre.
DEL SARTO
Me voilà donc flatté. Mon respect pour votre famille m'est tout aussi cher que celle que je porte à ma ville bien-aimée, Florence.
LORENZO
Comment ? Cette catin, cette putain, cette femme nuisible qui prostitue tant d'hommes ?
DEL SARTO
Ces mots me semblent bien forts pour un homme qui, me semble-t-il, jouit des jolies femmes de l'Arno.
LORENZO, à part.
Quelle idée ai-je eu de laisser trainer mon âme en ces lieux, je me serais trouvé bien mieux dans les bras d'une femme ou d'un verre de vin.
S'adressant à Del Sarto.
Oublions cette querelle infantile. Il me faut un tableau, symbole de Renaissance, symbole de divergence, symbole de mon existence. Voyez-vous, je ne sais plus qui je suis ou qui j'étais, malgré mon arrogance, je suis persuadé que vos talents sauront me contenter.
DEL SARTO, à part.
Les rumeurs étaient donc bien vraies, cet homme est totalement mordu, rongé par son être ou son paraître…
Sortant de son atelier, hésitant.
Voilà une de mes créations qui pourrait vous convenir.
LORENZO, enthousiaste.
Sacrebleu, qu'attendez-vous, exhibez-le !
DEL SARTO
Laissez-moi d'abord vous conter l'histoire de mon œuvre. Avez-vous déjà entendu parler de l'intrigante histoire de Joseph, fils de Jacob ?
LORENZO, réfléchissant.
Si cela est si important racontez le moi, mais faites vite, mon temps est compté !
DEL SARTO
Dans les terres saintes on le raconte, dans le livre de la Genèse on l'écrit…
LORENZO
Ne prenez pas de gants, allons à l'essentiel cher ami !
DEL SARTO
Jacob a 12 garçons, dont deux avec la belle Rachel, Joseph est l'aîné et Benjamin le cadet. Ses frères, jaloux de lui, vont s'empresser de le vendre en tant qu’esclave, sans prévoir qu'il deviendrait l'homme le plus puissant d’Égypte avec le Pharaon.
LORENZO
Ne serait-il pas là, le miroir de ma vie ? Joseph, jeune homme qui malgré lui se perd dans le corps d'un autre, corrompu par la soif de pouvoir, de vin, d'argent et de femmes ...
DEL SARTO
Lorenzaccio ... Mes sincères excuses, Monseigneur Lorenzo, puis-je continuer mon récit ?
LORENZO
Aucune hypocrisie entre nous, bientôt l'heure sonnera et Lorenzaccio s'en ira, mais oui continuez dont, cet histoire me plait de plus en plus, il n'interviendra plus.
DEL SARTO, confus.
Bien bien, reprenons. Joseph est un personnage de l'ancien testament particulièrement intéressant. Sa vie se déroule majoritairement en Egypte et celle-ci est racontée en plusieurs épisodes bibliques. En tant que peintre, j'avais le devoir de piéger son âme à l'aide de mon pinceau. J'ai consacré deux œuvres à ses périples en modernisant son histoire, en mélangeant la réalité et la mythologie…
LORENZO
Il est vrai que la perspective qu'offre votre tableau est particulièrement attractive et réaliste, et puis toutes ces couleurs éclatantes me donnent l'envie de revivre... On se perdrait presque dans les âmes séjournant dans votre peinture.
DEL SARTO
Vous avez vu juste ! Vous cachez bien votre jeu Monseigneur. Et à travers cette foule ne percevez-vous pas le petit joseph qui transmet au peuple les songes du pharaon, lui aussi présent ?
Sarto pointant son doigt en direction du tableau.
Au second plan dans les escaliers, j'ai représenté trois fois Joseph, tiré de sa prison par des gardes. J'ai privilégié, au premier plan, l'incarnation du Pharaon qui apparaît à droite près de la porte ou au centre. C'est également lui qui est nu face aux passant, face à nos yeux, face au monde ! Et la nudité d’un être, monseigneur, est la plus belle, la plus pure et la plus digne chose qui soit sur cette terre.
LORENZO
Quand j’écoute votre récit et votre œuvre, mon âme semble fusionner avec vos mots et vos couleurs. Je punirai mon être de vous avoir sous-estimé. Ne livrez ce trésor à aucun autre que moi. Demain nous serons réunis.
Lorenzo souriant malicieusement quitte la scène.
Nature : peinture sur bois
Dimensions : Hauteur 98 cm / Largeur 135 cm
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