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Publié par Kathleen

   Le décor de La ménagerie de verre mis en scène par Daniel Jeanneteau (originalement écrit par Tennesse Williams) est très particulier et surprend énormément au début.

 

    En effet, la scène est coupée des spectateurs par un fin rideau blanc et transparent qui nous permet de voir de l'autre côté un espace, l'appartement de la famille Wingfield à Saint-Louis, délimité par un autre rideau du même type. Une table basse avec une trentaine d'animaux en verre délicat, la ménagerie de verre comme l'appelle Amanda, la mère de Laura et de Tom, se trouve entre la pièce et le deuxième rideau, sur la gauche de la scène. Les acteurs peuvent se déplacer dans et autour l'espace délimité, sortir par différents côtés vers les coulisses, mais aussi passer devant le rideau qui sépare la scène et les spectateurs.

 

   Quand la pièce commence, le narrateur et le fils de l'histoire, Tom Wingfield, entre sur scène devant le rideau. Il s'adresse directement à nous, nous présente les personnages et sa place dans la pièce. On pourrait alors croire qu'il s'agit du personnage principal, mais on se rendra vite compte que ce n'est pas du tout le cas et qu'il reste au contraire plus effacé que sa soeur, Laura, qui est paradoxalement très discrète. Cependant lorsque la première réelle scène commence, on comprend que le rideau ne se lèvera pas et cela m'a beaucoup surprise et m'a un peu déstabilisée au début. Néanmoins avec un peu de recul, ce choix de mise en scène me parait très significatif et même poétique. En effet ce rideau placé entre nous et la scène représente selon moi un quatrième mur rendu visible. Il nous sépare des acteurs et fait la part des choses entre la pièce et la réalité. Le 4è mur a plein d'utilités et de significations selon le sujet et le ton, et ici il vient nous exclure en quelque sorte de la vie des Wingfield et de leurs secrets.

    En effet il faut attendre environ la moitié de la scène pour que celui-ci finisse par se tirer, comme poussé par un souffle de révélation. Cela se produit au moment où l'on en apprend plus sur chacun des personnages et où l'intrigue se met vraiment en route, avec cette décision formelle de la mère de trouver des prétendants pour sa fille. Ce lever de rideau nous rapproche des personnages et de leur psychologie. Ils nous permettent d'aller à leur rencontre et à partir de ce moment nous les discernerons mieux, eux et leurs traumatismes, leur histoire, leurs pertes, leurs deuils. De plus cette rupture du 4è mur donne à la pièce un aspect plus universel et intemporel. Laura par exemple est un personnage solitaire, fragile, timide et discrète auquel je me suis beaucoup identifiée à partir de ce levé de rideau, lorsqu'elle se révélait plus, ce qui m'a permis de vivre avec beaucoup plus d'émotions et de sensibilité ce qu'il se passe devant mes yeux.

 

    Ensuite l'espace délimité lui aussi par un même fin rideau blanc et transparent donne une drôle d'impression de flou, de confusion et d'incertitude. Cette zone où se déroule la plus grand partie de l'intrigue est très indistincte et même parfois mystérieuse, impénétrable. Il s'agit premièrement de la représentation visuelle de l'intérieur de l'appartement des Wingfield. Deuxièmement, il connote un autre intérieur à mon avis, notre intérieur à nous, celui dont on ne peut sortir selon Jean-Louis Giovanoni. En effet les événements sont vécus de façon très intense par les personnages et toute leur fureur, leur tristesse, leur espoir, leur désespoir, leur peur, leur incertitude y sont enfermés. En outre, il s'agit en grande partie d'un traitement de l'évolution et de ce qu'il se passe à l'intérieur des personnages, dans leur tête. C'est également ici que les personnages sont vraiment eux-mêmes et oublient les règles de la société. On y découvre par exemple la mère, hantée par son mari disparu, par sa propre jeunesse perdue et son incapacité a faire la différence entre sa vie imaginaire et la réalité.

    On peut aussi selon moi rapprocher cet espace avec la ménagerie de verre. En effet les rideaux donnent une impression de bocal dans lequel les personnages ne peuvent réellement sortir, jusqu'à un certain moment de l'intrigue mais nous y reviendrons plus tard, et semblent être fait de verre. De là, nous pouvons nous demander qui des figurines d'animaux en verre ou des personnages aux sentiments exaltés constituent la ménagerie de verre. On pourrait penser qu'elle soit bien en réalité la pièce délimitée par ces rideaux qui eux ne se lèveront jamais. Nous avons ainsi l'impression d'observer des personnages en cage, se débattant avec leur passé et leurs fardeaux. De plus, il règne dans cette famille une sensibilité à fleur de peau, une grande fragilité morale, telle des personnages de verre. Une simple brise pourrait les briser. Cela se produit à deux reprises, quand Tom vient de s'énerver contre sa mère et de l'insulter, de l'effrayer avant de sortir énervé et de casser une figurine de Laura. A ce moment-là, on entend un bruit de verre brisée, mais cela se rapporte presque plus à la situation, à l'événement qu'il vient de se produire, qu'à cet accident. Et plus tard, cette brise, c'est Jim, le jeune collègue de Tom, invité le temps d'une soirée dans l'espoir qu'il fasse des avances à Laure, avec qui il a passé ses années lycée.

Décor - La ménagerie de verre
Décor - La ménagerie de verre
     Enfin, ces espaces délimités ne sont pas impénétrables et les personnages peuvent en sortir. Tout d'abord lorsque Tom, à plusieurs reprises, vient s'adresser à nous de l'autre côté du premier miroir. Puis quand Jim arrive, les personnages passent beaucoup de temps derrière la pièce, pour le dîner qui se fera à la chandelle car la facture d'électricité n'a pas été payée par Tom qui économise pour partir de chez lui. Là-bas, il s'agit du lieu du paraître, de l'imposture, des éclats de rire qui paraissent hypocrites et des compliments qui sonnent faux, artificiels, aux mots choisis avec précaution pour plaire. Laura en particulier se déplace également beaucoup autour de l'espace délimité, elle seule a ce pouvoir d'être partout et d'y passer comme de l'air, aussi discrètement qu'une ombre, qu'un revenant, qu'un souvenir effacé. Et après, l'espace devant la pièce est également très exploité. Tout d'abord quand Laura s'occupe de sa ménagerie de verre et puis principalement lors de la longue scène entre Jim et elle où ils se rapprocheront, moralement, avec une discussion sur la passion de Laura, mais aussi physiquement avec une magnifique et émouvante valse ainsi qu'un langoureux baiser. D'ailleurs juste après celui-ci, Jim s'en veut, car il est en réalité marié, et il repart se réfugier, se dissimuler dans l'espace délimité, laissant Laura seule à l'extérieur jusqu'à la fin de la pièce. 
 
Décor - La ménagerie de verreDécor - La ménagerie de verre

 

    Voilà selon moi pourquoi le décor de La ménagerie de verre est si intéressant.
 
P.S. Après relecture, j'ai le sentiment d'avoir un peu déborder sur les articles "Son" et "Espace", mais il n'y avait pas matière à en faire deux articles à part, d'où mon choix de conserver leur réunion.
 
    Voilà selon moi pourquoi le décor de La ménagerie de verre est si intéressant.
 
P.S. Après relecture, j'ai le sentiment d'avoir un peu déborder sur les articles "Son" et "Espace", mais il n'y avait pas matière à en faire deux articles à part, d'où mon choix de conserver leur réunion.
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