Ecriture d'invention - Zoos humains 15
A la fin du 19ème siècle, le directeur du Jardin d'acclimatation imagine de recruter des indigènes pour les présenter au public. Pendant trente-cinq ans, les Français se passionnent pour ces "exhibitions ethnologiques", lançant de la nourriture et de la verroterie aux "sauvages" parqués derrière les grilles. Le phénomène des "Zoos humains" se développe dans toute l'Europe durant des décennies, attirant des millions de personnes. Ces spectacles sont à à la fois un outil de propagande colonialiste, un objet scientifique au service de thèses racialistes, une source de divertissement voyeuriste. Ainsi se construit le regard des occidentaux sur l'Autre...
Les lycéens d'i-voix donnent ici la parole à cet Autre.
Février 1892 : un "Caraïbe" exhibé au Jardin d'acclimatation sort de son silence.
Voici quelques extraits de ce discours ...
" Qu'avons-nous de si particulier ? Pourquoi nous observez-vous ainsi ? Sommes-nous si différents de vous ? Je ne comprends pas... Nos yeux regardent les arbres perdre leur feuilles en automne, nos oreilles écoutent les murmures du vent, notre palais goûte les saveurs des aliments, nos paroles décrivent nos pensées et notre cœur bat en rythme ; tout comme vous.
Vous nous ôtez la liberté, en nous condamnant à vivre à travers les barreaux d'une cage au décor refait, pour donner l'impression que nous sommes chez nous. Mais le sable de votre prison est moins doux que le nôtre, les arbres ne sont pas aussi grands et majestueux, aucun oiseau ne vole au-dessus de nos têtes, aucun parfum de fleurs ne se dégage du sol.
Vous avez pillé notre bonheur : nos sourires se sont effacés, et nos rires sont devenus sourds. Vous avez transformé nos âmes heureuses en profonde tristesse. Notre cœur est devenu un soleil sombre, qui se perd dans l'obscurité de votre intolérance, de votre stupidité, de votre méchanceté pure. Et qui sait si la lumière pourra réapparaître ? Cela ne dépend que de vous. J'ai beau chercher au plus profond de moi, j’essaie de comprendre vos motivations à nous humilier ainsi, en nous regardant derrière ces grilles, tels des animaux, mais votre plaisir à rabaisser mon peuple me restera éternellement inconnu.
Je marche pieds nus, car j'aime ressentir chaque élément de la nature : les vagues qui me caressent les chevilles, la terre qui me chatouille les orteils ou l'herbe qui s'écrase sous mon talon. Je ne sais pourquoi, vous préférez marcher en chaussure, toujours trop petites ou trop grandes et souvent douloureuses. Je dessine des motifs sur mon visage, qui représentent ma personnalité, mes sentiments, mes intentions, mon art ; et vous trouvez ce rite étrange, vous vous moquez de moi. Pourtant, vos mœurs sont plus étranges que les miennes : la corrida, ces taureaux, que vous faites courir dans l'arène, sont destinés à mourir ; ils sont tachés de sang, et lâchent leur dernier souffle, sous les applaudissements d'une foule avide de cruauté. Mon peuple trouve cela très particulier que l'on puisse jouir de la mort d'une création de la nature, pour un simple divertissement.
(...)"