Association - Voltaire / Rousseau 1 : Lettres
En 1755, Rousseau écrit le Discours sur l'Origine de l'inégalité : il y démontre combien l'homme est heureux à l'état de nature et malheureux à l'état social.
Il envoie son discours à Voltaire, le maître des philosophes des Lumières. La lettre de Voltaire marque le début de l'antagonisme entre les deux hommes, entre deux pensées et deux sensibilités : un conflit qui ne fera que s'envenimer...
DE VOLTAIRE A ROUSSEAU (1755)
J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain, et je vous en remercie. Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leurs vérités, et vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine, dont notre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolations. On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes; il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. Je ne peux non plus m'embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada; premièrement, parce que les maladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l'Europe, et que je ne trouverais pas les mêmes secours chez les Missouris, secondement, parce que la guerre est portée dans ces pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous. Je me borne à être un sauvage paisible dans la solitude que j'ai choisie auprès de votre patrie, où vous devriez être.
(...)
M. Chappuis m'apprend que votre santé est bien mauvaise; il faudrait la venir rétablir dans l'air natal, jouir de la liberté, boire avec moi du lait de nos vaches, et brouter nos herbes.
Je suis très philosophiquement et avec la plus grande estime, etc.
VOLTAIRE
DE ROUSSEAU A VOLTAIRE (1755)
C'est à moi, Monsieur, de vous remercier à tous égards. En vous offrant l'ébauche de mes tristes rêveries, je n'ai point cru vous faire un présent digne de vous, mais m'acquitter d'un devoir et vous rendre un hommage que nous vous devons tous comme à notre chef. Sensible, d'ailleurs, à l'honneur que vous faites à ma patrie, je partage la reconnaissance de mes concitoyens, et j'espère qu'elle ne fera qu'augmenter encore, lorsqu'il auront profité des instructions que vous pouvez leur donner .[...]
Vous voyez que je n'aspire pas à nous rétablir dans notre bêtise, quoique je regrette beaucoup, pour ma part, le peu que j'en ai perdu. A votre égard, monsieur, ce retour serait un miracle, si grand à la fois et si nuisible, qu'il n'appartiendrait qu'à Dieu de le faire et qu'au Diable de le vouloir. Ne tentez donc pas de retomber à quatre pattes; personne au monde n'y réussirait moins que vous. Vous nous redressez trop bien sur nos deux pieds pour cesser de tenir sur les vôtres.
(...)
Recherchons la première source des désordres de la société, nous trouverons que tous les maux des hommes leur viennent de l'erreur bien plus que de l'ignorance, et que ce que nous ne savons point nous nuit beaucoup moins que ce que nous croyons savoir. Or quel plus plus sûr moyen de courir d'erreurs en erreurs, que la fureur de savoir tout ? Si l'on n'eût prétendu savoir que la Terre ne tournait pas, on n'eût point puni Galilée pour avoir dit qu'elle tournait. Si les seuls philosophes en eussent réclamé le titre, l'Encyclopédie n'eût point eu de persécuteurs. [...]
Ne soyez donc pas surpris de sentir quelques épines inséparables des fleurs qui couronnent les grands talents.[...]
Je suis sensible à votre invitation; et si cet hiver me laisse en état d'aller au printemps habiter ma patrie, j'y profiterai de vos bontés. mais j'aimerais mieux boire de l'eau de votre fontaine que du lait de vos vaches, et quant aux herbes de votre verger, je crains bien de n'y en trouver d'autres que le Lotos, qui n'est pas la pâture des bêtes, et le Moly qui empêche les hommes de le devenir.
Je suis de tout mon cœur et avec respect, etc.
ROUSSEAU
DE ROUSSEAU A VOLTAIRE (1760)
Je ne vous aime point, Monsieur; vous m'avez fait les maux qui pouvaient m'être les plus sensibles, à moi votre disciple et votre enthousiaste. Vous avez perdu Genève pour le prix de l'asile que y avez reçu; vous avez aliéné de moi mes concitoyens pour le prix des applaudissements que vous ai prodigués parmi eux : c'est vous qui me rendez le séjour de mon pays insupportable; c'est vous qui me ferez mourir en terre étrangère, privé de toutes les consolations des mourants, et jeté pour tout honneur dans une voirie, tandis que tous les honneurs qu'un homme peut attendre vous accompagneront dans mon pays. Je vous hais, enfin, puisque vous l'avez voulu; mais je vous hais en homme encore plus digne de vous aimer si vous l'aviez voulu. De tous les sentiments dont mon cœur était pénétré pour vous, il n'y reste que l'admiration qu'on ne peut refuser à votre beau génie et l'amour de vos écrits. Si je ne puis honorer en vous que vos talents, ce n'est pas ma faute. Je ne manquerai jamais au respect qui leur est dû ni aux procédés que ce respect exige.
à Montmorency, le 21 mai 1760 (Confessions, X).
SENTIMENTS DES CITOYENS DE GENEVE
ECRITS PAR VOLTAIRE (1764)

« On a pitié d’un fou; mais quand la démence devient fureur, on le lie. La tolérance, qui est une vertu, serait alors un vice. »
« (…) si on châtie légèrement un romancier impie, on punit capitalement un vil séditieux. »
DE VOLTAIRE SUR ROUSSEAU (1766)
Singe manqué de l'Arétin,
Qui se croit celui de Socrate ;
Ce charlatan trompeur en vain,
Changeant cent fois son mithridate ;
Ce basset hargneux et mutin,
Bâtard du chien de Diogène,
Mordant également la main
Ou qui le fesse, ou qui l'enchaîne,
Ou qui lui présente du pain.
VOLTAIRE