Le journal intime du père Goriot

La pension Vauquer a enfin été fouillée ! Nous avons emmené dans cette fameuse rue Neuve-Sainte-Geneviève une équipe de journalistes, d'historiens, de littéraires ... Ils ont, d'ailleurs, eu l'occasion d'observer cette cuisine tant connue ! Cette pièce si sale, répugnante, écœurante qui symbolise tant l'abjection morale qui régnera dans le cœur des habitants. Une femme, plus curieuse que les autres, a retrouvé un livre qui bouleversera le monde. Le journal intime du Père Goriot a été retrouvé dans sa chambre, sous ce qui lui servait de lit ! Il a, jusqu'au dernier de ses souffles, complété avec le plus grand soin ce livre qui est désormais une des œuvres les plus appréciées du monde !
Vous vous demandez certainement ce que devait avoir en tête un vieil homme, pauvre, ayant comme seule source de bonheur et de vie, ses filles : Delphine de Nucingen et Anastasie de Restaud...
23 novembre 1819
Lorsque je suis rentré dans cette petite pension j'avais un revenu de huit à dix mille francs. J'étais riche. J'aime tellement gâter, aider, acheter des parures à mes filles que maintenant je le suis moins. Cela n'enlève en rien l'amour que je leur porte et l'amour que mes douces me portent. Depuis quelques jours, mes larmiers me font des soucis, ils ne cessent de se retourner, de gonfler, ce qui m'oblige à me les essuyer fréquemment... De plus, ma coiffure est très peu esthétique, elle est, en fait, digne de son nom : en aile de pigeon. Tout cela m'enlève de mon charme. Je suis, donc, obligé de faire appel à un coiffeur de l'école Polytechnique, qui vient tous les matins me poudrer, dessiner cinq pointes sur mon front plutôt bas ainsi que décorer ma figure. Mais cet argent je devrais le dépenser pour de bonnes causes, pour mes filles !
25 novembre 1819
Malgré mes traits vieillis par l'âge Madame Ambermesnil me trouve "un homme parfait". Malheureusement, depuis que je l'ai aimé Madame Vauquer me fuit. Elle me donne l'impression de réprimer des explosions de son amour propre blessé...
28 novembre 1819
Au dîner, j'ai comme à mon habitude demandé de la soupe, de la bouillie et un plat de légumes. La grosse Sylvie est d'ailleurs une merveilleuse cuisinière.
18 décembre 1819
Depuis que je suis dans cette pension, ma tendre fille, Fifine me rend visite régulièrement. Je l'aime de tout mon cœur et de tout mon âme ! Cela me fait tant plaisir qu'elle vienne me voir, m'apportant son sourire, son rire, sa joie, ses belles paroles de fille aimante. Cependant, depuis quelques temps j'ai pu apercevoir des regards douteux, des critiques et des moqueries qui fusaient autour de nous. Madame Vauquer, par exemple, semble très perturbée de me voir en compagnie de ma fille, elle est jolie, mais tout de même. Enfin, peut importe les autres, seul compte mon amour pour mes filles.
23 décembre 1819
Je suis très fier. Je suis riche et je permets à mes filles de vivre correctement. Je n'ai jamais écrit comment cet argent était rentré dans les poches de ma redingote. C'était à l'époque où je travaillais en temps qu'ouvrier vermicellier. J'ai amassé des capitaux qui m'ont, par la suite, permis d'avoir une grande masse d'argent, qui s'élevait à plus de soixante mille livres de rente. Bien évidemment, je ne dépensais pas plus de douze mille francs pour moi. Mon bonheur étant de satisfaire les fantaisies de mes filles.
3 janvier 1820
Désormais j'habite au dernier étage de la pension, le loyer est moins cher ce qui me permet de mettre davantage d'argent de côté pour mes tendres filles. Ma nouvelle chambre est sans rideaux, le papier de tenture collé sur les murailles s'en détache en plusieurs endroits par l'effet de l'humidité, le plâtre est jaunie par la fumée, mon lit est mauvais, je couche avec seulement avec une maigre couverture, mon carreau est humide et plein de poussière. Je possède quelques pauvres meubles : une commode en bois de rose à ventre renflé, un vieux meuble à tablette de bois, une table de nuit sans porte ni marbre, une table en bois de noyer, un méchant secrétaire, un fauteuil foncé de paille et deux chaises. Ce ne sont que des pauvres petits malheurs pour tant de bonheur ! Mes filles heureuses qui m'aiment et que j'aime !
5 janvier 1820
Le gendre de ma fille, ma Delphine, ma pauvre Fifine est un fripon. J'ai poussé mon amour dans les bras d'un homme qu'elle n'aime pas ! Je m'en veux terriblement. A cause de moi elle se retrouve ruinée, livrée à ce misérable. Je voudrais guillotiner cet homme. Je suis tellement triste... Ma pauvre fille... Ma douce Fifine...
20 février 1820
Je me sens mal... Je suis si seul... Seul le précieux Eugène de Rastignac et son ami Bianchon restent gentiment à mes côtés. Mais ils doivent aller chercher mes filles, les seules à me retenir en vie. Elles ne m'aiment pas ! Elles ne se présentent pas ! J'ai tant d'amour pour elles. Qu'elles viennent ! Je regrette. Je me suis fait avoir. Elles ne m'ont jamais aimé, elles ont seulement aimé mon argent. Non ! Ma douce Delphine m'aime, moi son pauvre père qui a tout donné pour elle. Pourquoi ne viennent-elles pas ? Je n'ai plus un sou. J'aurais du me rendre compte que l'argent était la seule raison qui les poussait à me rendre visite. Mon médaillon à cercle d'or ou sont entremêlé les cheveux de mes filles, je le veux. Je souffre. Adieu, je ne puis écrire plus. Adieu, mes chères filles que j'ai tant aimées, que j'aimerai toujours, pour le meilleur et pour le pire, dans la richesse et dans la pauvreté, dans la santé et dans la maladie, pour vous aimer et vous chérir jusqu'à ce que la mort nous sépare.