Poème de Lorenzino - Bilan
Charles Baudelaire est un célèbre poète et écrivain français du 19ème siècle. Il inclut la modernité comme "motif poétique", il a rompu avec "l'esthètique classique". Le recueil Les Fleurs du mal contient le poème Spleen : J'ai plus de souvenirs.
J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille
ans.
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de
romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C’est une
pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
— Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de
roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls,
respirent l’odeur d’un flacon débouché.
Rien n’égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des
neigeuses années
L’ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l’immortalité.
— Désormais tu
n’es plus, ô matière vivante !
Qu’un granit entouré d’une vague épouvante,
Assoupi dans le fond
d’un Sahara brumeux ;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont
l’humeur farouche
Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche.
Lorenzino de Médicis est un Italien du 16ème siècle. C'était le cousin et l'amant du duc Alexandre de Médicis. Il l'assassina, puis fut tué et son corps jeté dans l'eau. Mais c'était aussi un grand poète ! Voici un de ses poèmes Bilan. Dont Baudelaire s'est inspiré pour écrire le poème précédent...
J'ai plus de souvenirs qu'un homme de mille ans.
Un gros bureau ciré encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès et d'amants,
Avec de longs cheveux mouillés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon masque cerveau.
C'est un vrai monastère, un immense caveau,
Qui contient plus de sang que la grande commune.
- Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s'acharnent toujours sur mes ducs les plus chers !
Je suis un masque peint de roses bien fanées,
Où gît tout un fouillis de capes surannées,
Où les filles plaintives et les grands Raphael,
Seuls, respirent l'odeur d'un parfum naturel.
Rien n'égale en malheurs les places dépravées,
Quand sous les lourds flocons des fiévreuses années
La vie, fruit de la morne incuriosité,
Prend les élections de l'immoralité.
- Désormais tu n'es plus, ô matière vivante!
Qu'un pieux marbre entouré d'une vague épouvante,
Assoupi dans le fond des palais de Florence ;
Un beau duc détesté du monde soucieux,
Oublié dans le lit et dont la vie farouche
Ne danse qu'aux rayons du soleil qui se couche.
Florence par i-voix