Pastiche - Annie Ernaux

Je dirais qu'elle a environ cinquante ans ... Une assurance et des yeux rieurs, l'impression qu'elle se moque de l'objectif. Comme si elle allait nous tirer la langue d'une seconde à l'autre. Elle est assise dans l'herbe et a étalé les plis de sa robe rouge tout autour d'elle. Ma petite soeur me dit en essayant de rire qu'elle est belle sa mamie, qu'on dirait une princesse. C'est vrai qu'elle est jolie mais je vois bien que la petite prend sur elle et à sept ans je trouve que c'est bien trop tôt ...

Mes yeux retombent sur la photo que je tiens dans ma main. Ses cheveux roux brillent dans le soleil de son jardin, celui là même où nous nous trouvons pour regarder toutes ces photos que son mari a rassemblées. On doit être au printemps car les rhododendrons sont en fleurs. Rien qu'en regardant cette image on sent leur délicieuse odeur, on a presque envie d'en cueillir une fleur pour décorer ses boucles insolentes. C'est en voyant ce cliché que je prends conscience que depuis mon enfance elle avait pris quelques rides. Mais je n'arrive toujours pas à me convaincre qu'elle en avait assez pour s'en aller ... Un instant pour cette photo, elle est redevenue une jeune fille, riant au nez de son mari et à la barbe de la mort. C'est de tout ça dont je veux me souvenir. De sa joie enfantine et de ses immenses lunettes. De cette époque où elle voyageait souvent, m'appelait sa " petite-fille " sans être ma grand-mère et me trouvait " magnifique " même lorque j'avais pleuré.

Je pose ma main sur l'épaule de ma petite soeur, c'est moi la grande aujourd'hui, ma voix n'a plus le droit de trembler. Alors je lui dit : " C'est une fée ta mamie maintenant et elle doit bien rire en nous regardant tu ne crois pas ? "

On retourne alors à table parce que c'est Pâcques et qu'on le fête en famille. C'est bizarre mais je n'ai pas l'impression qu'elle nous as quittés, juste l'impression qu'elle est partie chercher quelque chose à la cuisine et qu'elle va revenir en riant.

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