Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pages

Archives

Publié par Adèle

Le-Papalagui-2011.jpg

Source couverture originale

 

 

 Le Papalagui a été publié en 1920. Erich Scheurmann, l’auteur, prétend avoir recueilli les discours que Touiavii, chef de tribu d’une île Samoa, aurait tenus au retour d’un voyage en Europe pour décrire aux siens les mœurs du « Papalagui », c’est-à dire l’homme blanc. Fidèle au principe du regard décalé qu'utilisait par exemple Montesquieu dans ses Lettres persanes au 18ème siècle, Eric Scheurmann mène à travers les paroles d'un "bon sauvage" la critique de la civilisation occidentale. Des extraits sont à lire ici.

 

Les lycéens d'i-voix vous proposent leur version modernisée de cette oeuvre : Le Papalagui 2011 ...

 

 

http://aulas.pierre.free.fr/img/chr_ext_2008_papalagui.gif

  Source image

 

 

            Mes biens chers frères, me voilà enfin de retour parmi vous. Je suis si apaisé de me retrouver ici, devant vous, sur la plage la plus magnifique de Tiavéa, Lotua. Mon voyage a été long et éprouvant. Je ne finirai jamais de m’étonner des coutumes de la civilisation occidentale. Malgré cela, je ne m’en lasserai pas : le Blanc est un spécimen bien intrigant. 

            Souvenez-vous, je suis parti l’été dernier. Selon le calendrier du Papalagui, j’ai posé le pied sur la terre française le vendredi 1er juillet 2011. Je sais que cela, (le Papalagui l’appelle date), n’a pas de sens pour nous, mais peu importe. Je suis revenu hier, le vendredi 21 octobre 2011. Cela représente à peu près quatre mois pour les Européens, ce qu’ils considèrent comme une période de temps très courte, mais pour nous, c’est une éternité. Une éternité que je ne me sens pas moi-même, une éternité que je rêve de vous retrouver. 

            Je suis certain que vous êtes impatients d’écouter ce que j’ai à vous révéler, et sachez que vous allez tomber des nues. Ce que je vais vous apprendre est incroyable. Vous allez être étonnés, pire, choqués ! Après vous avoir déjà parlé de mon premier voyage chez le Papalagui, j’ai été très heureux de l’accueil réservé à mon discours. Vous avez été très réceptifs et sensibles à mes paroles. C’est donc en toute confiance que je vais évoquer avec vous un aspect répugnant de la France de 2011, et d’ailleurs, de toute l’Europe. Le Papalagui a créé un concept dénigrant et absurde : la télé réalité. 

            J’entends déjà les « késako ? » fuser dans la foule. Ne vous agitez pas, je vais vous informer de tout ce que j’ai observé, et je n’omettrai aucune réflexion, aussi indignante soit-elle. Tenez-vous prêts, tendez vos oreilles et fermez les yeux mes frères. Je vais vous faire voyager dans un univers indécent et scandaleux où le respect de soi et de l’autre n’existe pas. Quand vous vous réveillerez de ce cauchemar, vous ne pourrez qu’apprécier d’autant plus la chance que vous avez d’être restés authentiques. 

(...) 

   Enfin, ce dont je vais vous parler maintenant est le plus choquant de tout ce que l’on a vu précédemment. La télé-réalité se moque des peuples les plus primitifs. Elle se moque de nous… Cela est peut-être moins flagrant avec l’exemple de Secret Story, c’est pourquoi je vais vous parler d’une autre émission de télé-réalité : Koh Lanta. Quatorze à vingt candidats doivent survivre sur une île inhabitée pendant 40 jours. C'est à eux de trouver de la nourriture afin d'accompagner la maigre ration de riz qui leur est fournie ou non en début d'aventure. Ils doivent construire un abri afin de se protéger des conditions extérieures (intempéries, insectes...) et entretenir le feu qu'ils sont parvenus à faire ou qu'ils ont remporté lors des épreuves. Tout produit lié à l'hygiène ou l'alimentation est interdit. Les candidats sont répartis en deux équipes : les jaunes, et les rouges, chacune vivant au départ sur une île différente (il y a réunification par la suite). Ils participent à deux types d’épreuves : celle de confort permettant d’améliorer leur conditions de vie, ou de communiquer avec leurs proches restés en France, ou celle d’immunité permettant d’être préservé de l’élimination du jeu. Les éliminations ont lieu tous les trois jours sous forme de conseil. L’équipe qui a perdu le jeu d’immunité se retrouve autour de l’animateur qui leur pose des questions à propos de leur état physique, mental, des relations entre les uns et les autres… Ils procèdent ensuite à un vote, et le candidat qui aura le plus de fois été nommé devra quitter l’aventure. 

   J’entends dans la foule des cris indignés. Je sais que seule la description du jeu vous fait frémir, tant elle est abjecte. Et oui, les civilisés comme ils se disent si bien, qui prétendent venir nous apporter leurs bienfaits et leur culture, s’amusent à devenir des sauvages ! Qui l’aurait cru ? Mais quelle est donc leur morale ? Vous êtes fiers de vous ? Vous n’avez pas honte ? Je rêve ! Au lieu de venir vérifier leurs idées qu’ils se font au préalable sur nous (ce qu’ils faisaient à l’origine, et qui était déjà irrespectueux), ils n’ont rien trouvé de mieux que de se mettre directement dans notre peau. Mais si mal. Ils croient que nous sommes malheureux, sans nourriture, sans biens… Cependant, ils ne le penseraient pas s’ils n’avaient pas vécu autrement ! Ils se sont créés eux-mêmes des besoins, qui maintenant leurs semblent indispensables !  Mais nous n’avons pas besoin de leurs produits, je vous le répète. Ainsi, ils ne savent pas apprécier ce que la nature leur offre… Le silence, le soleil ou la pluie, le chant mélodieux du vent dans les arbres, le sable fin, les doux reflets de la mer… Ils ne connaissent pas la paix, la tranquillité, le repos. C’est la raison pour laquelle ils se sentent si mal à Koh Lanta. Ils n’ont plus aucun repère, plus aucun confort. Ils descendent les pieds sur terre le temps de quelques jours, quelques semaines, et après, ils reprennent leurs habitudes, comme si rien ne s’était passé. Et pour eux, tout est réglé par le temps, par leur montre et horloge. Mais le temps file vite, et ils courent tous après lui. Ils sont en permanence pressés, en retard, les yeux fixés sur leur cadran. Vous voudriez être ainsi ? Stressés, paniqués, toujours en mouvement ? Ici nous sommes vivants. Et bien vivants. Nous profitons de l’instant présent. Nous ne nous prenons pas la tête avec cette maladie de penser sans cesse. 

Encore une fois mes frères lucides, je vous invite à résister à la tentation du monde occidental. Ce serait bien manichéen de dire que le Papalagui est mauvais, et que nous sommes bons. Après tout, je ne suis pas là pour nous vanter, ni pour rabaisser les occidentaux. Mais je ne peux m’empêcher de juger. Et le Papalagui ne peut me le reprocher, car c’est ce qu’il est sans cesse en train de faire. Cette tentation est incorrecte. Les Blancs ne veulent pas nous civiliser, ni nous aider, car au fond maintenant nous savons qu’ils se moquent de nous. Et Koh-Lanta en est la preuve. Je vous ai montré plus d’une fois que le Papalagui est sans pitié, qu’il n’a aucune valeur et morale. Gardons notre authenticité, comme nous l’avons toujours fait.

Voici venu le temps de mettre un terme à ce discours. Je vous laisserai en juger par vous-mêmes, mais je sais que vous choisirez le bon chemin. Après avoir évoqué l’absurdité de la télé-réalité, à travers la manipulation des candidats par la production, à travers le désir du Papalagui de gagner de l’argent, de gagner en popularité (même s’il perd souvent !) et enfin à travers la moquerie envers nous, peuples considérés comme sauvages, je vous demande de chercher le point commun entre tous ces exemples…

Le point commun est que tous ces aspects de la télé-réalité sont immoraux. Tous. Et je pense que vous l’avez tous ressenti en écoutant ma harangue. S’il ne fallait retenir qu’une seule chose, qui conforterait l’idée que la télé-réalité est dénigrante et absurde, c’est qu’elle est aussi le reflet de la débilité humaine. Ceci est la raison de ce discours, ceci est ce qu’il m’a le plus interpellé dans mon voyage. N’oubliez jamais cela, mes biens chers frères. Je vous le demande en tant que chef de ce village, mais surtout en tant qu’ami. Eloignons-nous de ces aïtous et continuons de vivre comme nous l’avons toujours fait : en paix.

 

http://prland.blogs.com/prland/Koh_20Lanta_small.jpgSource image


 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
N
<br /> Quel sujet original!<br />
Répondre