Evénement - Jean-Pierre Siméon à Brest ! (suite)
- les échanges avec l'auteur : ici ou là
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VOICI QUELQUES EXTRAITS DE CE DIALOGUE ...
ELOGE DE LA POESIE
Libres propos tenus par Jean-Pierre Siméon
lors de la rencontre
avec les Premières L1 de l'Iroise
à Brest le jeudi 24 janvier 2008
Un poème, ça aide à rester éveillé, à ce que la conscience soit en alerte.
C'est un « accélérateur de
conscience »,
pour reprendre les mots du poète argentin JUARROZ.
Ceci est d'autant plus nécessaire que nous vivons dans un monde
où règne une parole qui ne dit rien,
qui tourne sur elle-même,
qui est l'inverse du poème.
Il faut comme Rimbaud affirmer l'absolu de la vie,
avec intransigeance, sans mensonge.
« On n'est plus vivant, on est des somnambules », disait le philosophe ALAIN.
Un poème, un vers vous éveille.
Par exemple, ce haïku écrit au Japon au 18ème siècle :
« Un monde de rosée
C'est un monde de rosée
Et pourtant pourtant »
Regardez ce qu'il dit de nos existences,
alors qu'il y a tant de mots, à la télévision, à la radio, dans la presse,
qui ne disent rien...
Ou encore ces vers de René-Guy CADOU :
« A la place du ciel
Je mettrai ton visage »
Il y a là une bonté gratuite, le don de ce que chacun peut espérer !
Ou encore ce poème de Robert Desnos,
les derniers vers qu'il aurait écrits dans un camp de concentration, avant sa mort :
« J'ai tellement rêvé de toi
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi,
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres,
D'être cent fois plus ombre que l'ombre,
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée. »
La poésie est ce qui nous prend aux tripes, parce qu'elle parle de l'essentiel.
Le poème a la capacité de vous prendre en deux secondes,
de vous redresser
pour vous mettre les yeux dans les yeux
avec ce qui est essentiel,
avec ce qui est grave au sens étymologique,
c'est-à-dire non pas triste, mais lourd, ce qui a du poids
(dire « je t'aime » à quelqu'un, c'est grave, mais pas triste)
Or la société nous incite à vouloir échapper à tout ça :
elle veut nous hypnotiser, nous séduire et nous endormir,
comme le serpent du Livre de la Jungle...
Alors il faut se donner une gifle et la gifle, c'est le poème !
Je revendique votre part de parole intransigeante.
Je suis une conscience qui pense et un poème est là pour me ressaisir
dans la façon dont j'envisage l'existence.
Chacun peut décider de dormir jusqu'à la fin de ses jours. Ou pas...
Le poète, lui, continue à questionner.
La poésie, ce n'est pas seulement des mots, c'est ce qu'on veut faire de sa vie.
Il y a ce cliché qui fait du poète un rêveur,
quelqu'un qui veut échapper à la réalité.
Or c'est exactement l'inverse !
Le poète est celui qui creuse dans le réel, sans cesse...
Il regarde par exemple le grand noir au-dessus de nous
et il écrit « Barbare » !
La société nous incite à avoir peur de tout ce qui est inconnu, de ce qui dissemble,
et à cause de cela elle enferme les gens dans des définitions.
Au contraire la poésie fait l'éloge de l'inconnu,
de la part de mystère que porte chaque être, chaque lieu...
Le poème, c'est le compte rendu d'un voyage dans l'inconnu.
C'est comme un enfant qui ramasse un caillou,
le choisit parmi des milliers d'autres,
prend le temps de le regarder et finit par le mettre dans sa poche :
il a trouvé et aimé en ce caillou quelque chose d'inconnu,
et alors il lui a donné une identité.
Là est la poésie, dans cette patience
à découvrir de l'inconnu
dans ce qu'il y a de plus banal.
Chacun d'entre nous est un immense inconnu à explorer.
La poésie, c'est comme l'amour :
c'est explorer le mystère de l'autre.