Ecriture d'invention - Zoos humains 5
A la fin du 19ème siècle, le directeur du Jardin d'acclimatation imagine de recruter des indigènes pour les présenter au public. Pendant trente-cinq ans, les Français se passionnent pour ces "exhibitions ethnologiques", lançant de la nourriture et de la verroterie aux "sauvages" parqués derrière les grilles. Le phénomène des "Zoos humains" se développe dans toute l'Europe durant des décennies, attirant des millions de personnes. Ces spectacles sont à à la fois un outil de propagande colonialiste, un objet scientifique au service de thèses racialistes, une source de divertissement voyeuriste. Ainsi se construit le regard des occidentaux sur l'Autre...
Les lycéens d'i-voix donnent ici la parole à cet Autre.
Février 1892 : un "Caraïbe" exhibé au Jardin d'acclimatation sort de son silence.
Voici quelques extraits de ce discours ...
"Vous , parisiens, parisiennes , qui nous scrutez du regard, qui nous observez, qui nous guettez sans cesse, vous, parisiens, parisiennes, habillés de vos costumes du dimanche si sombres, parés de vos ombrelles et de vos chapeaux qui vous donnent des airs de haute bourgeoisie et de supériorité. Vous qui prenez du plaisir à venir nous voir, nous, hommes caraïbes mais avant tout hommes à part entière, à vous amuser de notre présence dans votre pays qu' est la France, ce pays colonisateur, violent, détestable, qui ne peut vivre sans guerres, toujours à la recherche du profit.
Cette société Française qui paraît il est merveilleuse, la plus idéale de toutes, c'est cette société qui nous a parqués comme des bêtes dans ce zoo humain, qui atteint la dignité de l' Homme. Nous ne sommes à vos yeux que des sauvages, des sauvages qui se laissent vivre et qui ont des rites abominables. Maintenant nous sommes devenus l'attraction du Tout-Paris ! La Tour Eiffel attire désormais moins de visiteurs : nous, hommes Caraïbes nous attirons des milliers et des milliers de personnes de toute la France et de l' Europe rien que pour nous voir !
Ah ça vous amuse, ça vous fait voyager de voir d'autres cultures, de faire votre promenade au jardin d' acclimatation. Je vois d' ici la mère de famille qui attend patiemment dans son nouvel appartement haussmannien que son mari et les enfants arrivent, et allez, tout le monde au zoo, voir les caraïbes! D' ailleurs, vous leur apprenez quoi à vos enfants ? quelles sont les valeurs importantes que vous leur apprenez ? Le respect, la liberté de l' individu ? Vous les amenez au zoo pour les amuser, vous les promenez comme si vous alliez au cirque. Eh oui, c' est l' occasion de voir des sauvages , ils n' en ont jamais vus ! Vous êtes là, à nous observer, rieurs, moqueurs, intrigués, vous nous jetez de la nourriture comme si nous étions des chiens ; les guimauves, les cacahuètes, les berlingots à la violette et toutes les confiseries que vous nous balancez, croyez vous que cela nous fasse plaisir? vous chuchotez entre vous, et parfois vous vous demandez si nous entendons ce que vous dites ; vous voilà bien naïfs ! Nous lisons sur vos visages la méchanceté, la moquerie. Nous subissons vos comportements et nous vivons cela comme une humiliation ! Vos enfants imitent nos gestes, ils jouent aux sauvages et cela vous amuse. Vous violez nos droits , il n'y a aucun respect de votre part et de la nation toute entière. En ayant ces comportements, vous agressez tout un peuple entier , nous ne sommes que des bêtes de foire à vos yeux . Cette idée de nous avoir parqués dans un zoo, telle une mise en cage, nous à détruits , salis à tout jamais .Vous, visiteurs que vous êtes, vous violez notre intimité, vous volez notre liberté. Pourtant nous sommes au pays des Droits de l' Homme ! Ce pays ou la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen prône la liberté, l' égalité et la fraternité. En nous mettant en cage, vous avez purement et simplement transgressé ces grands principes, ces grands principes qui font que les français sont si fiers d' appartenir à cette patrie ces grands principes qui forcent l'admiration des pays voisins et qui ont fait les heures de gloire de la France.
(...)"