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Publié par Jeanne

http://4.bp.blogspot.com/-CFQVvrqLcVU/TxFsHhKvpnI/AAAAAAAAEkc/woOAgOKdTGw/s640/Zoo-Humain.jpgSource image

 

 

A la fin du 19ème siècle, le directeur du Jardin d'acclimatation imagine de recruter des indigènes pour les présenter au public. Pendant trente-cinq ans, les Français  se passionnent pour ces "exhibitions ethnologiques", lançant de la nourriture et de la verroterie aux "sauvages" parqués derrière les grilles. Le phénomène des "Zoos humains" se développe dans toute l'Europe durant des décennies, attirant des millions de personnes. Ces spectacles sont à à la fois un outil de propagande colonialiste, un objet scientifique au service de thèses racialistes, une source de divertissement voyeuriste. Ainsi se construit le regard des occidentaux sur l'Autre...


Les lycéens d'i-voix donnent ici la parole à cet Autre.

Février 1892 : un "Caraïbe" exhibé au Jardin d'acclimatation sort de son silence.

Voici quelques extraits de ce discours ...

 

 

 

http://www.quaibranly.fr/typo3temp/pics/ef96232e54.jpgSource image


 

 

« Et vous, visiteurs Européens, arrêtez donc de rire et de chuchoter au passage de nos grilles. Vous nous toisez, oui, vous tous, dans vos fourrures et vêtements chauds. Vous nous lancez de la nourriture et de la verroterie à chacun de vos passages. À longueur de journée nous avons droit à toutes sortes de qualification : tantôt nous sommes « sauvages » ou « attardés », l'instant d'après de vulgaires « copies bâclées ». Nous pensions être dans un pays où les droits de l'Homme sont respectés. N'est-ce pas ici le fondement même de votre Déclaration de 1789 ? Faire que tous les Hommes naissent libres et égaux en droits et en devoirs ? Nous nous trompions. Lorsque vos scientifiques dissertent sur notre race, notre couleur de peau et publient des mensurations, nous sommes loin d'être égaux. D'ailleurs, vous nous considérez plus proches de l'animalité que de l'humanité car ce délire classificatoire est semblable à celui exercé sur des bêtes. Mais avez-vous seulement conscience de la méchanceté de vos propos ? Ce que cela représente pour nous, peuple Caraïbe, de tourner en rond dans cet enclos et d' être exposés à la vue de tous, tels des animaux en cage ? Aimeriez-vous être à notre place ? Aimeriez-vous être humiliés comme nous le sommes ?


Malheur au jour où vous nous avez visités ! Nous étions libres jusqu'au jour sans fin où vos hommes armés jusqu'aux dents ont débarqué sur notre rivage. Là-bas, vous nous avez pris à la douceur de notre ciel sans nuage. Vous nous avez séparés de notre terre si verte et luxuriante. Vous nous avez arrachés à notre paix si grande et, désormais, notre ruine est avancée. Avant votre sombre visite nous ne connaissions que l'unique maladie à laquelle chaque être vivant est condamné depuis la nuit des temps : la vieillesse. Mais vous, Hommes Blancs, avez apporté de vos navires tant d'autres dont nous ignorions l’existence ! Je maudis le jour où vous avez foulé le sol de notre terre. De quels droits nous avez vous arrachés de notre jardin d' Eden ? A-t-on traité les Européens comme vous nous avez traité ? Non ! Les Caraïbes vous ont accueillis chaleureusement, ils vont ont offert l'hospitalité, ils vont ont offert leurs femmes et leurs filles, ils vont ont cédé leurs cabanes, ils ont chanté pour vous. Vous n'avez trouvé ni barrière, ni refus. Partout où vous passiez on vous a salué, on vous a invité, on vous a fêté. Vous avez joui de toute l'abondance de notre pays, de nos pauvres richesses et voilà que vous décrétez que notre terre vous appartient. Notre terre vous appartient ! Et pourquoi ? De quel droit la possédez-vous ? Qui vous a donné le pays où vous habitez ? Si un Caraïbe débarquait un jour dans votre ville, qu'il allait sur le Champs de Mars et qu'il décrétait que la tour de trois cent mètres lui appartenait, que diriez-vous ?


La Terre est notre mère, et aucun d'entre nous ne peut prétendre la posséder car elle n'appartient à personne. Vous autres, Européens, la traitez, elle et son frère, le ciel, comme d'insignifiantes choses à acheter, piller ou vendre. Nous nous savons différents de l'Homme Blanc, mais comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? L'idée même nous paraît étrange.


Vous autres, Hommes Blancs, êtes certains d'être la créature parfaite, d'avoir pour mission de nous démontrer la supériorité de votre race et de nous faire entrevoir les sombres lumières de la civilisation. De quelles lumières parlez-vous ? Pas un seul d'entre vous n'a eu l'intelligence d'esprit d' élever la voix pour crier au scandale devant l'absurdité, le délire et l'inhumanité de cette exhibition. Pas un seul ne s'est récrié devant cette attraction scabreuse, en plein Paris ! Est-ce que, ne serait-ce qu'une seule personne, a pu s'imaginer que les rôles pouvaient êtres inversés ? Que de nos grillages vous pouviez être les regardés et nous les regardants ? Au fil des jours et des visites, nous avons pris le temps de vous observer, vous et vos mœurs et de les comparer aux nôtres. Sachez que nous ne vous envions nullement : vos inutiles lumières n'égaleront jamais la sainteté de nos vies.


Nous avons dans un premier temps pu observer l'immense injustice sur laquelle votre société, résidant sur des lois, était fondée. Alors que certains Hommes sont gorgés de toutes sortes de privilèges, d'autres mendient à leur porte, affamés et pauvres. Comment ces nécessiteux peuvent-ils supporter une telle injustice ? Chez nous, tout est à tous et le mot '' inégalité '' ne fait pas partie de notre vocabulaire. Nous sommes nés libres et frères unis, aussi grands maîtres les uns que les autres et nous ne tolérerions aucune forme de supériorité ou d'infériorité. Sur quels droits et sur quelle autorité ces Hommes privilégiés fondent-ils leur prétention ? C'est une des nombreuses choses que nous ne comprenons pas.

 

(...)

 

 

Les hommes du pays où je vis et ceux de ce pays sont des hommes bien différents, vous l'aurez compris. Vous, comme nous, avez vos propres usages et ce depuis l'enfance. Mais sont-ils de ce fait supérieurs aux usages des autres ? Notre régime alimentaire est différent du vôtre. Cela veut-il dire que nous consommons une nourriture répugnante ? Y avez-vous seulement goûté ? Nous nous peignons le corps de toutes sortes de couleurs. Mais vous, Mesdemoiselles et Mesdames, ne vous fardez-vous pas les joues ? N'est-ce pas là, la même idée ? Et vous, Messieurs, vous n'avez qu'une seule épouse tout au long de votre vie tandis que nous changeons fréquemment de femmes. Est-ce là, pour autant, un signe de sauvagerie ? Vous êtes braves et nous sommes lâches à la guerre. N'est-ce pas vous, Européens, les « sauvages », sur ce dernier exemple ? Votre étroit jugement sur notre peuple est uniquement fondé sur votre large ethnocentrisme. Votre culture n'est pas le centre du monde et il est absolument indécent de tout juger à partir de celle-ci. Faites preuve de relativisme, prenez en compte la diversité des coutumes qui ne sont pas les vôtres. Mais surtout, surtout, acceptez les différences. Les véritables Lumières résident au creux de celles-ci. »



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