Vision - La Vénus noire
De son vrai nom Sarah Baartman Arrachée d’Afrique du Sud, cette jeune Africaine aux formes hallucinantes est exhibée à Londres et Paris comme une bête de foire. Elle enflamme le monde scientifique, nourrissant malgré elle les théories de la classification des races. À sa mort en 1815, à 26 ans, son corps est disséqué par le Baron Cuvier.
SortI sur les écrans en 2010 :
un film inspiré de cette histoire vraie, r
éalisé par Abdellatif Kechiche,
interprété par Yahima Torres, André Jacobs, Olivier Gourmet ...
L'HISTOIRE DE LA VENUS HOTTENTOTE
Esclave, elle fut emmenée en Europe par un Britannique à Londres en 1810 où on la baptisa du nom de Saartjie Baartman avec l'autorisation spéciale de l'évêque de Chester. Vendue, elle devient bête de foire eu égard à sa morphologie hors du commun : hypertrophie des hanches et des fesses (stéatopygie), organes génitaux protubérants (macronymphie). Elle est exposée en Angleterre, en Hollande et ensuite en France. Elle devient par la suite objet sexuel (prostitution, soirées privées).
En mars 1815, le professeur de zoologie et administrateur du Muséum national d'histoire naturelle de France, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, demande à pouvoir examiner « les caractères distinctifs de cette race curieuse ». Après le public des foires, c'est devant les yeux de scientifiques et de peintres qu'elle est exposée nue, transformée en objet d'étude. Peu de temps plus tard, le rapport qui en résulte compare son visage à celui d'un orang-outang, et ses fesses à celles des femelles des singes mandrills.
Georges Cuvier zoologue et chirurgien, estime que Saartjie est la preuve de l'infériorité de certaines races. Peu après sa mort, il entreprend de la disséquer au nom du progrès des connaissances humaines. Il réalise un moulage complet du corps et prélève le squelette ainsi que le cerveau et les organes génitaux qu'il place dans des bocaux de formol. En 1817, il expose le résultat de son travail devant l'Académie de médecine, témoignage des théories racistes et des préjugés des scientifiques de l'époque : « Les races à crâne déprimé et comprimé sont condamnées à une éternelle infériorité. »
Le moulage de plâtre et le squelette sont exposés au musée de l'Homme à Paris. Ce n'est qu'en 1974 qu'ils furent retirés de la galerie d'anthropologie physique et relégués finalement dans les réserves du musée (le moulage étant encore resté exposé durant deux ans dans la salle de préhistoire).
En 1994, quelque temps après la fin de l'apartheid en Afrique du Sud, les Khoïkhoï font appel à Nelson Mandela pour demander la restitution des restes de Saartjie afin de pouvoir lui offrir une sépulture et lui rendre sa dignité. Cette demande se heurte à un refus des autorités et du monde scientifique français au nom du patrimoine inaliénable du muséum et de la science. Ce n'est qu'en 2002, après le vote d'une loi spéciale, que la France restitua la dépouille à l'Afrique du Sud.
Le 9 mai 2002, en présence du président Thabo Mbeki, de plusieurs ministres et des chefs de la communauté Khoikhoï, la dépouille, après avoir été purifiée, fut placée sur un lit d'herbes sèches auquel on mit le feu selon les rites de son peuple.
Pour en savoir plus : un article de Libération
LE FILM LA VENUS NOIRE
"un beau film, moralement clair-obscur, forçant le public à avancer, pas à pas, jusqu’au bout de l’abjection. Car, chez Kechiche, ce qu’on nous promet comme une édification tranquille se transforme en jeu de cache-cache avec soi-même."
"Les grands cinéastes font des films au moment où ils le doivent. Ni avant, ni après. Pourquoi avoir réalisé Vénus noire aujourd'hui ?
Sans doute parce que j'entends la résonance entre cette histoire et notre époque. J'ai rencontré Saartjie Baartman dans les livres et son histoire m'a bouleversé. Elle prolongeait mes interrogations sur le regard qu'on porte à l'autre. J'avais trouvé dans son parcours une façon de questionner le monde sans être, je l'espère, moralisateur. En revanche, je n'ai pas voulu mettre le spectateur dans une position confortable. Ni moi, d'ailleurs. J'ai besoin de me bousculer, de sortir d'un certain confort cinématographique. J'aime ce malaise. Sur ce film, c'était presque une ligne de conduite : Vénus noire ne devait pas être un film agréable. Ne pas enjoliver les choses, même par l'émotion. Enlever toute idée de divertissement.
En quoi ce sujet faisait-il écho à vos préoccupations d'alors, vous qui n'aviez filmé que des histoires contemporaines ?
J'ai d'abord voulu aborder cette histoire sous l'angle de la reconstitution. Je pose les éléments d'une enquête. Saartjie Baartman a passé cinq ans à s'exhiber dans une cage dix heures par jour. Elle était alcoolique. Elle en souffrait. Je m'en suis tenu aux éléments factuels connus par respect pour elle. Je ne voulais pas d'un film romanesque pour faire pleurer dans les chaumières. Il n'y avait pas, non plus, une volonté d'accuser ou de dénoncer. Mais il y avait des questions. Pourquoi cette femme a-t-elle accepté de souffrir autant ? Comment un homme a-t-il pu la disséquer après sa mort contre sa volonté ? Comment arriver à une telle barbarie ?
(Extrait d'une interview du réalisateur par Eric Libiot dans L'Express)