Apartés - Le Jeu de l'amour et du hasard, I, 6
SILVIA, DORANTE
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DORANTE, à part.
Cette fille-ci m'étonne, il n'y a point de femme au monde à qui sa physionomie ne fit honneur, lions connaissance avec elle... (Haut.) Puisque nous
sommes dans le style amical et que nous avons abjuré les façons, dis-moi, Lisette, ta maîtresse te vaut-elle ? Elle est bien hardie d'oser avoir une femme de chambre comme toi.
SILVIA
Bourguignon, cette question-là m'annonce que suivant la coutume, tu arrives avec
l'intention de me dire des douceurs, n'est-il pas vrai ? (à part ) Et que cela me ferait plaisir si les mots pouvaient être si doux que son image
!
DORANTE
Ma foi, je n'étais pas venu dans ce dessein-là, je te l'avoue ; tout valet que je suis, je n'ai jamais eu de grande liaison avec les soubrettes, je n'aime pas
l'esprit domestique ; mais à ton égard c'est une autre affaire ; comment donc, tu me soumets, je suis presque timide, ma familiarité n'oserait s'apprivoiser avec toi, j'ai toujours
envie d'ôter mon chapeau de dessus ma tête, et quand je te tutoie, il me semble que je jure ; enfin j'ai un penchant à te traiter avec des respects qui te feraient rire.
Quelle espèce de suivante es-tu donc avec ton air de princesse ?
SILVIA
Tiens, tout ce que tu dis avoir senti en me voyant, est précisément l'histoire de tous les valets qui m'ont vue. (à part ) Je vois donc clairement dans son
jeu, quel hasard, moi qui m'attendait à un grand seigneur, je m'attache au valet de celui-ci.
DORANTE
Ma foi, je ne serais pas surpris quand ce serait aussi l'histoire de tous les maîtres.
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