Leopardi et Baudelaire
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher
Albatros de Baudelaire
Ce poème est extrait de "Spleen et idéal", la deuxième partie du recueil Les Fleurs du mal. Cette partie évoque l'homme déchiré entre l'aspiration à l'élévation et l'attirance pour la chute, déchirement à l'origine de l'envie nommé spleen, indissociable de la condition humaine et qui finit par triompher. L'albatros traduit chez Baudelaire la conscience d'être différent des autres. Baudelaire a recours à une image très suggestive pour dépeindre sa propre condition dans une société qui l'ignore complètement. L'image de l'albatros capturé évoque l'idée d'un être totalement étranger au monde qui l'entoure. Baudelaire faisait partie de la génération des poètes maudits, c'est-à-dire non compris par les gens de son époque. Les trois premières strophes concernent l'albatros tandis que la dernière est dédiée au poète.
Selon Baudelaire, la place du poète dans la société est comparée à un albatros : majestueux dans le ciel, son élément mais ridicule sur terre et au contact des hommes. De même, le poète se situe au-dessus du commun des hommes pour ses poèmes, mais mêlé à la foule, il n'est rien et devient ridicule. Baudelaire faisait ainsi partie de la génération des poètes maudits, c'est-à-dire non compris par les gens de son époque.
Le poète italien Giacomo Leopardi (1798-1837) a écrit en 1819 un poème intitulé L'Infini. C'est un des plus célèbres de la quarantaine de poèmes qui forment son unique recueil, « Canti » (Les Chants). L'Infini est un poème qui frappe par sa modernité, en mettant en jeu la mémoire, les sensations et l'imagination.
L'INFINI
Toujours elle me fut chère cette colline solitaire
et cette haie qui dérobe au regard
tant de pans de l'extrême horizon.
Mais demeurant assis et contemplant,
au-delà d'elle, dans ma pensée j'invente
des espaces illimités, des silences surhumains
et une quiétude profonde ; où peu s'en faut
que le cœur ne s'épouvante.
Et comme j'entends le vent
bruire dans ces feuillages, je vais comparant
ce silence infini à cette voix :
en moi reviennent l'éternel,
et les saisons mortes et la présente
qui vit, et sa sonorité. Ainsi,
dans cette immensité, se noie ma pensée :
et le naufrage m'est doux dans cette mer.