Cas de conscience de Mme de Rênal par Elea

Le déchirement

Le Rouge et le Noir, Chapitre XXX, Un ambitieux, pages 269-270

— Tu vas à Paris ! s’écria assez haut madame de Rênal.

Sa voix était presque étouffée par les larmes, et montrait tout l’excès de son trouble. Julien avait besoin de cet encouragement : il allait tenter une démarche qui pouvait tout décider contre lui ; et avant cette exclamation, n’y voyant point, il ignorait absolument l’effet qu’il parvenait à produire. Il n’hésita plus ; la crainte du remords lui donnait tout empire sur lui-même ; il ajouta froidement en se levant :

— Oui, madame, je vous quitte pour toujours, soyez heureuse ; adieu.

Je restai immobile, j'étais paralysée, cette annonce me paraissait si violente. Je pris cette nouvelle comme une trahison. Julien l'avait annoncé d'une manière si froide, comment a-t-il pu prendre cette décision, il n'avait même pas pensé à moi. "Soyez heureuse" mais comment être heureuse sans lui... il venait de me briser le cœur mais je devais rester heureuse ? Néanmoins, cette annonce pouvait également arranger les choses, au moins ma liaison secrète avec Julien serait oublié. Je pourrais continuer ma vie sereinement, sans lui, comme si il n'avait pas existé. De plus, Julien pourrait également vivre la vie qu'il désire autant, être puissant, faire parti de la haute société. Malgré toutes les bonnes raisons de le laisser partir, je ne suis pas capable de le laisser refaire sa vie comme ça. Il ne peut pas me laisser seule avec ces souvenirs. Je n'ai pas bravé toutes ces choses, risquer de briser mon mariage pour qu'il me quitte de cette manière, de façon si froide après tout ce que nous avons vécu. Je le regardais dans les yeux et je devinais qu'il attendait quelque chose, une réaction. C'est pour cela que je me suis jetée dans ses bras, il m’était impossible de résister plus longtemps. Il fallait que je le retienne je ne pouvais pas rester comme cela et le regarder partir, je voulais rester avec lui le plus longtemps possible. Mais au fond de moi je savais qu'il était déjà trop tard et que Julien partirait d'ici peu, mais je ne voulais pas qu'il me quitte de cette manière, par un simple "adieu".

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