Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pages

Archives

Publié par Enora

Juste la fin de la pièce II, 4 par Enora
Juste la fin de la pièce II, 4 par Enora

LOUIS. - J'ai à vous parler. Ne quitte pas la table, Antoine, tu es aussi concerné par ce que j'ai à dire.

 

ANTOINE. - Mais je t'en prie, Louis, exprime-toi !

 

LOUIS. - Vous vous demandez pourquoi je suis venu, 

pourquoi je suis venu vous voir, pourquoi je suis là ? 

Parce que ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vus, 

une douzaine d'années maintenant.

J'ai donné peu de nouvelles mais je vous ai quand même écrit, quelques fois. 

J'ai écrit quelques lettres et j'ai envoyé des cartes postales,

mais elles étaient un peu trop elliptiques pour Suzanne ; c'est elle qui me l'a dit.

Suzanne, tu devrais vivre ta vie, tu as le droit de partir,

partir où tu veux et quand tu veux.

Si tu veux partir, voyager, ne te mets aucune barrière.

 

Antoine, Je suis parti tôt et vous ai laissés ici.

J'ai voyagé, j'ai voyagé plusieurs fois.

Toi, tu es resté ici, avec maman et Suzanne.  

Ce n'est pas parce que tu es le seul homme que tu dois te sentir obligé de rester aussi.

C'est pas parce que je suis l'aîné et que je suis parti  

que tu dois te sentir responsable de Suzanne et maman.

Elles ne sont pas sous ta responsabilité.

 

ANTOINE. - Pourquoi tu nous dis ça, Louis ? Tu te sens coupable de revenir après tout ce temps? 

Tu nous donne des conseils alors que tu ne nous connais pas !

Tu piges ? Moi, j'en ai rien à faire de tes conseils.

 

LA MÈRE. - Antoine ! Laisse ton frère parler. 

 

SUZANNE. - Mais oui, Antoine, tais-toi un peu ! Tu t'énerves toujours pour un rien.

 

ANTOINE. - Ça y est ! Ça recommence, c'est ça ? Je passe encore pour quelqu'un de brutal  ? pour une brute ? Je dis juste ce que j'en pense de son petit discours.

 

LA MÈRE. - Antoine ! tu as fini ? On te demande juste de laisser Louis s'exprimer, 

déjà qu'on n'a entendu que quelques mots sortir de sa bouche depuis qu'il est ici,  

avec nous,

j'aimerais pouvoir écouter ce qu'il a à nous dire. 

Louis, je t'écoute, enfin nous t'écoutons.

 

LOUIS. -  Je me devais de venir vous voir  puisque

je dois juste vous dire quelque chose, 

quelque chose d'important, je crois. 

Depuis que je suis là, avec vous, je n'ai pas trouvé le bon moment.  

Tout compte fait, je crois qu'il n'y pas de bon moment,

je veux dire de bon moment pour dire, pour annoncer ça.

Je crois que ça n'a pas voulu sortir de ma bouche mais il le faut, il le faudra bien parce que maintenant je me suis lancé.

J'étais muré dans le silence car je crois que c'était plus simple, 

plus simple que de dire. Je dois admettre que ça n'est pas simple, 

je savais que ça ne pouvait l'être. J'ai conscience d'être égoïste aujourd'hui mais je voulais l'annoncer moi-même, en être l'unique messager.

Ça fait plus de dix ans qu'on ne s'est pas vu et je suis ici uniquement parce que j'ai cette chose à vous dire.

 

ANTOINE. – Bon, parle, Louis ! Bordel !

 

LOUIS. - Je vais partir, bientôt, dans quelques mois tout au plus,

je ne sais pas exactement quand pour être honnête.

 

ANTOINE. - Franchement, qui s'attendait à ce qu'il reste ici ? 

 

LOUIS. -  Vous, vous avez le choix de partir, de prendre un nouveau chemin ; 

or le mien est tracé.

Je ne pensais pas le connaître aussi tôt

Chacun est censé être maître de son destin, je ne maîtrise plus le mien.

La vie ne m'a pas laissé assez de temps. On regrette de ne pas en avoir profité lorsqu'il est déjà écoulé, [le temps]. 

Je suis malade,

Je suis juste gravement malade,  

Je vais disparaître de vos vies, 

c'est juste la fin de ma vie.                                                                                                   

 

SUZANNE – Mais pourquoi tu n'es pas venu avant ? Je ne pensais pas que tu allais rester ; Que tu étais seulement venu nous dire bonjour.

Je trouvais ça étrange aussi : pourquoi maintenant ?  

Je ne pensais pas que ça te serait pris de venir pour nous dire que c'est peut être la dernière fois, je veux dire la dernière fois que je te vois alors que je ne t'ai presque pas connu, même très peu connu .

 

LA MÈRE. - Pourquoi tu pars, Suzanne ? Tu vas où ? 

 

ANTOINE. - Laisse-la, elle reviendra, comme à chaque fois.

 

CATHERINE – Louis, je ne pensais pas, je suis sincèrement désolée.

Je n'aurais pas pu savoir que vous veniez ici pour ça.

Étant donné qu’on se connaît si peu ; c'est profondément malheureux.

 

LOUIS. - Je sais, Catherine.

 

ANTOINE-  Louis, c'est bien gentil de venir , de passer un dimanche, comme ça, après douze piges sans nouvelles. Je ne comprends toujours pas alors que tu l'as dit. 

Je ne comprends pas pourquoi tu es venu là pour nous dire « je vais crever » ! Pourquoi faire l'effort de venir dans ce trou paumé alors que c'était tout aussi simple d'envoyer une lettre ou une carte comme tu sais si bien le faire ?!

 

CATHERINE. - Antoine, pourquoi tu cries comme ça? Et frapper dans le mur ne servira à rien.

 

LA MÈRE – Louis, merci de leur avoir dit ce qu'ils devaient entendre. 

Je crois qu'ils t'en voudront pour un moment, ils auront du mal à s'en remettre.

Peut être qu'ils arriveront à te pardonner, un jour j'espère.

Je savais bien que tu ne venais pas pour le plaisir, c'était évident. Pour que viennes, il devait forcément s'agir de quelque chose d'important, c'est sûr. Par contre, je ne m'attendais pas à une annonce pareille. 

Je t'aime.

 

Juste la fin de la pièce II, 4 par Enora

Dans cette quatrième scène, nous devions imaginer comment Louis aurait annoncé à sa famille qu'il allait mourir après avoir contracté une maladie incurable. Il était pour ma part important de montrer la crise dans laquelle se trouve la famille de Louis, le climat de tension qui y règne avec des relations bien distinctes entre les différents personnages.

Premièrement, Suzanne qui s'entend bien avec son frère est attristée par l'annonce de la mort prochaine de son frère, elle est plutôt perdue, ne comprend pas vraiment. Elle n'est d'ailleurs pas la seule.

J'ai voulu qu'on arrive à voir ce qu'éprouve réellement Antoine. Il est certes en colère, en veut terriblement à son frère et est aussi dans l'incompréhension. Il est une fois de plus déçu par Louis.

Catherine est quant à elle effacée, n'intervient que peu souvent, elle n'est pas au centre du cercle familial, ne connaît pas Louis.

La mère ne montre pas ce qu'elle ressent, elle ne prend pas parti, et écoute Louis car, en tant que mère et connaissant ses enfants, elle savait au fond d'elle même que Louis ne venait pas  parce qu'il en avait envie, son motif de venue était sérieux.

L'annonce de Louis aurait pu être écrite de mille manières différentes. J'ai choisi de le faire parler assez longtemps, qu'il se fasse interrompre par Antoine pour que la scène ressemble à la pièce de Lagarce dans son ensemble.  Cette scène montre aussi les reproches que Louis reçoit de la part de son frère et de sa sœur. Ils lui en veulent d'être parti, de ne pas donner de nouvelles. Mais ça, Louis devait le savoir...  

Voici donc ma proposition pour la quatrième scène de la deuxième partie de l'œuvre de Jean Luc Lagarce.

 

Source image

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article