Juste la fin de la pièce II, 4 par Adèle
Deuxième partie
Scène 4
LOUIS. - Je crois que la rareté de mes visites a trahi l’importance de celle-ci.
Cela fait maintenant plusieurs heures que nous parlons,
par de longues phrases dont vous corrigez chaque mot,
comme si une imprécision détruisait le message que vous vouliez m’adresser.
Malgré nos efforts réciproques, nous n’arrivons pas à nous dire l’essentiel.
Vous vous êtes comportés comme je l’avais imaginé,
sauf bien sûr, vous,
Catherine, dont je connaissais rien.
Étonnamment, il m’a semblé que vous,
la seule personne qui m’était étrangère,
comprîtes dès mon arrivée la nature de mon retour.
Antoine,
je sais que tu ressens de la colère envers moi,
j’aurais souhaité que tu l’oublies le temps d’une journée,
que des retrouvailles heureuses puissent avoir lieu.
Tu as sûrement raison,
je ne te connais plus, mais tu ne m’a laissé pas la possibilité de te redécouvrir.
Quant à toi maman,
tu est là à nous raconter des histoires de famille bien connues de nous tous,
comme si nous n’avions pas plus important à nous dire.
Tu dis comprendre tes enfants ainsi que leurs attentions et attentes à mon égard,
mais qu’en est-il de toi, de ton avis, de tes pensées ?
N’as-tu rien à me dire après tant de temps, aucune rancune, aucun regret ?
Je crois que tu es comme eux,
incapable de mettre des mots sur tes sentiments.
Vous me trouvez silencieux, c’est sûrement vrai.
La raison de mon silence vient de la peur de mal dire ce qui m’a semblé assez important pour revenir après tant d’années.
J’ai enfin trouvé le courage de vous livrer cette douloureuse nouvelle.
Je ne me voyais pas le faire par une carte postale quelconque,
semblable aux centaines d’autres que je vous ai adressées par le passé.
Si je suis ici,
c’est pour vous annoncer ma maladie,
je mourrai dans quelques mois,
je souhaitais vous voir une dernière fois.
Ne prenez pas ces mots comme l’expression d’une tragédie,
faites moi l’honneur de les voir comme la fin d’une histoire, le sort du destin.
La mère se met à pleurer.
SUZANNE. - Ce n’est pas possible…
Mais pourquoi ne nous l’as-tu pas dit plus tôt ?
C’est de ma faute, je n’ai fait que parler,
je m’en veux de ne pas t’avoir écouté, j’aurais dû t’écouter.
Excuse-moi, Louis, je…
ANTOINE. - Tais-toi, Suzanne !
Il vient de dire de ne pas nous lamenter.
De toute façon tu n’aurais pas pu le deviner toute seule,
on ne comprend jamais ce qu’il dit, ce qu’il veut dire.
J’ai deviné que tu cachais quelque chose,
tu ne te serais pas déplacé juste pour prendre de nos nouvelles,
on ne t’intéresse pas,
pas assez.
Tu nous reproches toujours de ne pas assez t’écouter,
de ne pas assez t’aimer.
Je sais ce que tu penses,
tu penses que c’est notre faute si tu n’as pas réussi à nous parler avant,
si tu ne venais jamais nous voir.
Tu voudrais comme toujours nous rendre responsable de ton malheur.
Je te dis ce que je pense maintenant car plus tard il sera trop tard,
tu sera parti à jamais,
et je n’oserai plus dire un mot contre toi,
je n’oserai plus penser un mot contre toi,
comme lorsque j’attendais ton retour, comme un benêt,
je restais et je resterais là.
Tu nous abandonneras une deuxième fois,
mais cette fois nous ne pourrons pas t’en vouloir.
LA MÈRE. - Arrête, Antoine, de t’en prendre à lui !
Ce n’est plus le moment.
Peut-être l’avais-je deviné, mais c'était impossible pour moi de le comprendre et de l’accepter.
En effet, cette journée me semblait l’une des plus tristes de ma vie, sans trouver la raison qui la rendait malheureuse alors que le retour de mon fils, après de longues années d’absence, devait me remplir de bonheur.
Je crois que la pire épreuve pour une mère est de voir un de ses enfants mourir avant elle,
mon cœur sera brisé une deuxième fois.
Ma seule espérance,
(la même qui m’aidait lorsque ton absence devenait trop difficile)
c’est de penser que ta vie sans nous a été heureuse,
de penser que tu est sûr d’avoir fait le bon choix en partant.
Je ne voulais que ton bonheur et j’espère que te laisser partir t’a aider à le trouver,
et te permettra de mourir serein et comblé,
sans inquiétude, sans remords.
LOUIS. - Catherine, vous ne dites rien ?
CATHERINE. - Je ne sais pas, je ne sais plus quoi dire.
Vous avez raison je l’avais deviné,
mais vous entendre le dire rend l’idée concrète et grave.
Je suis désolée, si j’avais su, j’aurais tout fait pour que vous puissiez voir
les enfants.
Je suis désolée.
Même si nous venons de nous rencontrer,
j’ai l’impression de vous connaître depuis que je suis rentrée dans cette famille,
vous êtes si présent,
votre absence est si présente
dans les liens et les vies
de cette maison.
Je serai triste, mais je vous aurais connu.
Merci.
Commentaire
Dans cette scène, j'ai souhaité être fidèle au caractère des personnages et à leurs relations.
D'abord, j'ai exprimé l'incompréhension réciproque entre Antoine et Louis causée par leurs nombreuses différences et le mal être d'Antoine. Ici, la violence verbale dont fait preuve Antoine à l'égard de sa sœur paraît, ainsi que la colère et le sentiment d'injustice qu'il ressent envers son frère.
J'ai souhaité montrer la sensibilité de la mère qui est souvent en retrait mais qui semble faire de son mieux.
Suzanne doute sans cesse d'elle, elle n'ose plus s'exprimer de peur de mal dire et par culpabilité de peut-être avoir gêné Louis dans ses annonces.
Quant à Catherine, j'ai voulu retrouver cette forme d'omniscience qui la caractérise, son point de vue extérieur plus vrai. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle clôt la scène, car ses impressions sont souvent justes, donc importantes.
Pour finir, j'ai tenté de respecter la mise en page des dialogues en revenant souvent à la ligne pour marquer les hésitations, les répétitions et les reformulations.
Présentation - Juste la fin de la pièce - i-voix
Nous n'avons fait jusqu'ici qu'interpréter la littérature, il s'agit maintenant de la transformer. L'activité critique consiste à considérer les œuvres comme inachevées. je décidai de retou...
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