Essai de conversation par Loïc et Noan
Dialogue imaginaire
Montaigne/Gaudé
Michel Eyquem de Montaigne et Laurent Gaudé sont deux grands écrivains. Montaigne, ayant vécu au 16ème siècle et Gaudé, écrivain contemporain, n'ont donc jamais pu se rencontrer. Or, grâce à la magie du temps, lors d'un court instant, les deux auteurs ont pu échangé quelques mots. Laurent Gaudé ayant lu "des cannibales" et "des coches" de Montaigne, et Montaigne ayant lu "Eldorado" de Gaudé et étant tout les deux intrigués par les ouvrages de chacun. Ils peuvent donc échanger à propos de leurs œuvres.
Après s'être brièvement présentés, les deux écrivains abordent les sujets de leurs œuvres.
Laurent Gaudé : - Voilà, maintenant que les présentations sont faites, j'aimerais bien qu'on en vienne au sujet principal qui est bien entendu nos œuvres. Avant d'approfondir les différentes idées de nos livres, avez-vous apprécié le mien, "Eldorado"?
Michel de Montaigne : Évidemment que j'ai apprécié "Eldorado". Ce roman est très entraînant car il est magnifiquement écrit. D'ailleurs j'aurai sûrement l'occasion de détailler mes propos plus tard. Mais avant cela, une question simple, mais qui selon moi demande une réponse construite, me trotte dans la tête: lequel de mes deux livres ou essais avez vous préféré, "des coches" ou "des cannibales"?
Laurent Gaudé : En effet, c'est une très bonne question qui demande un certain recul sur l’œuvre et beaucoup de réflexion. J'avoue avoir eu d'abord, une certain mal à me repérer à l'intérieur de vos œuvres, car le fil conducteur de celles-ci n'étant tout autre que votre pensée et vos diverses idées. Puis j'ai finalement réussi à m’intéresser, à comprendre, à apprécier, à distinguer vos idées et enfin à me passionner pour vos deux œuvres et plus particulièrement à l'une d'entre elle, "des cannibales". Tout d'abord, dans les deux œuvres, ce que j'apprécie, c'est le fait que tous les éléments soient précis, par exemple tous les rois ou simplement tous les personnages que vous citez sont nombreux mais aussi bien détaillés, dans "des cannibales", le fait que vous approfondissez énormément les éléments quand vous parlez de la culture des indigènes. De plus, dans "des cannibales", ce que j'aime, c'est le fait que l'on apprenne des choses, sur l'histoire notamment, quand vous citez le noms des rois et des personnages célèbres et ce à quoi ils ont servi. Ensuite il y a aussi le fait d'apprendre les cultures et les usages d'une autre civilisation, par exemple un des extraits que j'ai le plus apprécié est celui-ci, situé à la page 69: " Chacun rapporte comme trophée la tête de l'ennemi qu'il a tué, et l'attache à l'entrée de sa maison. Après avoir longtemps bien traité leurs prisonniers , avec tous les agréments qu'ils peuvent imaginer, celui qui en est le maître réunit beaucoup de personnes de sa connaissance : il attache une corde à l'un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient éloigné de quelques pas, de peur d'être blessé par lui, et il donne à son ami le plus cher l'autre bras à tenir de la même façon; et c'est deux-là, en présence de toute l'assemblée, l'assomment à coups d'épée. Cela fait, ils le font rôtir, en mangent une partie en commun et en envoient des morceaux à leurs amis absents". Enfin ce pour quoi votre œuvre me passionne est le fait que l'on puisse l'imaginer et le vivre, comme l'extrait précédent, je l'imagine et je le vis avec mes émotions et mes sentiments.
Maintenant que j'ai répondu à votre question, j'en ai deux autres pour vous. Dans un premier temps, j'aimerais vous demander quels personnages avez-vous le plus aimé dans mon livre?
Michel de Montaigne : Pour commencer, je pense que tous les personnages de votre livre sont importants, ils ont chacun leurs place et leurs signification. Néanmoins, parmi ces différents personnages, il y en a un que j'ai particulièrement apprécié et qui m'a touché. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas un personnage qui parle beaucoup et qui n'est pas non plus présent dans toute l'histoire. Elle apparaît uniquement dans le premier chapitre qui est "L'ombre de Catane". C'est bien entendu la femme du Vittoria. Ce personnage m'intrigue et me passionne fortement. Son histoire est incroyable ainsi que sa personne. Malgré toute l'histoire qu'elle a vécue, le fait que lors de sa traversée pour rejoindre l'Europe, les passeurs les aient abandonnés, qu'elle ait par la suite perdu son enfant et puis enfin qu'elle soit enfin rapatriée par le bateau de Salvatore Pirracci en Sicile, elle est toujours restée forte. Depuis ce jour là, elle savait ce qu'elle voulait faire dans sa vie. Elle a travaillé dur en Europe pour gagner sa vie et pour pouvoir refaire la traversée dans le sens inverse au bout de deux ans. Elle voulait se venger, tuer l'une des personnes qu'elle pensait être à la tête des passeurs et donc qui avait tué son fils et d'autres milliers de migrants. Elle était déterminée.
Ce personnage, selon moi, est aussi un personnage essentiel de l'histoire. C'est grâce à elle que l'histoire de Salvatore Pirracci a pu voir le jour. C'est l'élément déclencheur, elle a fait prendre conscience à Salvatore que ce n'était pas ce travail qu'il voulait faire de sa vie mais autre chose. Elle l'a convaincu et il a fini par tout quitter : son pays, sa famille, ses amis.
Laurent Gaudé : C'est vrai, la femme du Vittoria joue un rôle important dans mon histoire. Maintenant, j'aimerais vous poser une question sur votre livre, et plus particulièrement sur la manière dont vous l'avez écrit, sous forme d'essai. Je trouve ça très original, pouvez-vous m'expliquer ce choix?
Gaudé, très attentif, commence à prendre des notes.
Michel de Montaigne : Vous avez raison, c'est une forme originale pour écrire un livre. Les essais sont des textes dans lesquels l'auteur exprime librement ses pensées sur des sujets variés. Avec les essais, j'ai tout simplement dit ce que je pensais dans "des cannibales" et dans "des coches" étant donné que ce sont des thèmes qui font référence à l'Histoire, il était tout à fait logique pour moi de l'écrire comme je le pensais. Et puis, je trouve ce type de texte plus simple à écrire; je n'ai pas eu besoin de me demander comment j'allais rédiger mon texte ni de quelle manière j'allais le structurer. J'ai tout simplement fait comme bon me semblait. Et puis, aussi le fait d'écrire ce que je pensais, me permettait de rajouter des éléments si j'en avait oublié, au fur et à mesure de mon histoire, c'est pour cela que comme tu l'as dit tout à l'heure, je peux comprendre que des personnes aient, au début, du mal à s'y retrouver dans mes livres.
Dorénavant, si vous me le permettez, j'aimerais en quelque sorte, vous retourner la question. Ce choix du montage alterné de votre roman me semble très spécial, pouvez-vous m'éclairer sur ce choix?
Laurent Gaudé : En effet, mon livre est écrit sous la forme d'un montage alterné. C'est une forme spéciale pour écrire un roman mais je trouve que cette forme est intéressante pour captiver le lecteur. Le fait qu'il y ait deux histoires, deux aventures en un seul livre permet dans un premier temps d'intriguer le lecteur, puis le fait d'alterner les deux aventures à chaque chapitre donne envie au lecteur de connaître la suite et d'en apprendre plus sur les deux protagonistes. Le fait que les deux histoires soient écrites en parallèls et que, instinctivement, le lecteur fait un lien entre ces deux histoires. Il veut connaître la fin car inévitablement ces deux aventures vont se croiser. Le deuxième point qui explique pourquoi j'ai écrit ce livre en montage alterné est pour montrer la traversée de deux points de vue différents. Il y a le point de vue du migrant, Soleiman, qui veut absolument atteindre l'Europe pour y trouver une vie "meilleure", il voit l'Europe comme une merveille. Et le point de vue de l'Européen qui n'aime pas sa vie, qui n'aime pas ce qu'il fait et qui veut quitter son pays et ressentir ce que vivent les migrants durant leur périple, en faisant le trajet dans le sens inverse.
Michel de Montaigne : Tout ce que vous dites est très intéressant et très réfléchi. Cependant, j'aurais une dernière question pour vous, à votre époque donc à l'heure actuelle, est-ce que vous acceptez toute pratique comme le cannibalisme au nom du relativisme culturel?
Laurent Gaudé : Selon moi, oui, toutes les pratiques doivent être acceptées au nom du relativisme culturel. Si ce sont les usages et les coutumes qui perdurent depuis très longtemps au sein d'une société, je ne vois aucun mal à cela. Des pratiques sont aussi très discutées et disputées à l'heure actuelle, beaucoup de guerres éclatent à cause de cela. Ce sujet que j'aborde en ce moment est très sensible mais aujourd'hui, il y a ce qu'on appelle "la liberté d'expression", chacun pense et dit ce qu'il veut, chacun est libre. Personnellement, je pense que ces pratiques peuvent être acceptées, en revanche ce n'est pas le cas de tout le monde, et cela crée des conflits.
Michel de Montaigne : Merci à vous Laurent Gaudé d'avoir répondu à mes différentes questions avec précisions et pertinence.
Laurent Gaudé : De rien et merci à vous d'avoir fait de même.
Michel de Montaigne : Bon retour !
Laurent Gaudé : Merci à vous aussi !
Après ce court instant, Montaigne et Gaudé retournèrent dans leur temps, à leur époque et avec leurs différents problèmes et enjeux...
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Présentation - Essais d'appropriation - i-voix
" On ne cesse de criailler à nos oreilles d'enfants, comme si l'on versait dans un entonnoir, et notre rôle, ce n'est que de redire ce qu'on nous a dit. Je voudrais que le précepteur corrigeât ...
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