Partage confiné - Résumé de La Fabrication du consentement
Remarque préalable : La critique (sans résumé donc bien plus courte) de ce livre est dans un article dédié à ce sujet.
La fabrication du consentement étudie en détail la couverture des médias américains d'événements majeurs qui ont eu cours au long de la deuxième moitié du XXe siècle. L'analyse de Chomsky et Herman est toutefois étendu au fonctionnement des médias des démocraties occidentales en général, bien qu'il existe toujours certains médias alternatifs. Elle nous montre comment des médias prétendument libres et indépendants en sont arrivés à servir de véritable organe de propagande du gouvernement. Bien sûr, les auteurs ne manquent pas de rappeler que « nos médias ne fonctionnent pas à la manière de la propagande des États totalitaires. Ils encouragent les polémiques enflammées, la critique et la contestation, pour autant que celles-ci demeurent confinées dans la foi dans le système de croyances et de principes qui structure tout consensus des élites ». A partir de leurs observations et analyses, ils élaborent un modèle de propagande qui se veut le plus proche possible de la réalité.
À partir du milieu XIXe siècle s'est opéré une extension du libre-marché amenant à une industrialisation et à une financiarisation de la presse. Cela a favorisé la concentration des médias en de grandes entreprises familiales. La quête du profit a fait dépendre la survie de la plupart des médias à leur soumission aux compagnies publicitaires et aux exigences de rentabilité des actionnaires, seules sources de financement. La presse indépendante dont les revenus ne dépendent que de ses ventes s'est faite phagocytée, et est devenue pour le moins très marginale. L'analyse porte sur les médias « mainstream », les médias principaux qui sont la première source d'information de la population. Ainsi aux États-Unis du New York Times, du Washington Post, du Times ; et pour ce qui est de la télévision des chaînes ABC, NBC ou CBS. Ces médias tirent leurs informations des sources officielles crédibles de par leur statut : la Maison-Blanche, le Pentagone et globalement toutes les sources proches du gouvernement ou des milieux d'affaires. Cela garantie une information rapide, facile d'accès et à moindre coût.
Dans le même temps, les sources alternatives qui demandent un plus important travail d'investigation, et ne sont pas forcément conformes à l'idéologie dominante sont rejetées. Cette asymétrie d'information est corrélée avec le fait que les médias nationaux servent l’opinion des élites qui jouent un rôle de décision dans les sphères publiques et privées. De plus, les actionnaires et grands groupes publicitaires qui apportent leur financement peuvent très aisément faire pression sur ces médias si l'information diverge de leurs intérêts.
Enfin, un autre filtre - non des moindres - est constitué par l'idéologie anticommuniste : “perçu comme le mal absolu, le communisme menace les propriétaires dans les fondements de leur position de classe et de supériorité établie. Les exactions rendues publiques des pays communistes ont renforcé le filtre de l'idéologie anticommuniste qui aide à mobiliser le peuple contre un ennemi. Ce concept flou est étendu à tout individu défendant des positions menaçant les intérêts des possédants. Permettant de diviser la gauche et les mouvements de travailleur, c'est un outil de contrôle politique. Il permet de justifier le soutien aux pires formes de fascisme comme un moindre mal.”
Il est à noter que, la première publication du livre datant de 1988, les faits analysés ont eu lieu durant la guerre froide.
Chomsky et Herman vérifient leur modèle de propagande en analysant le traitement médiatique de différents événements avec une honnêteté intellectuelle admirable.
Ils montrent comment les médias distinguent implicitement les victimes « dignes d'intérêt » et « indignes d'intérêt ». Ainsi le prêtre polonais, militant du mouvement Solidarnosc, Popieluszko fut torturé et tué par des membres de la police secrète polonaise en 1984. Victime digne d'intérêt, il fut quantitativement 100 fois plus important que l'assassinat de l'archevêque pacifiste salvadorien Romero en 1980 et 140 fois plus que 72 religieux assassinés en Amérique du Sud en 1964-78. Le traitement quantitatif est évalué grâce au nombre d'articles, de unes, la longueur de ceux-ci etc. Mais le traitement qualitatif n'est pas en reste, puisque les détails sordides racontés longuement dans une émotion et une indignation débordante sont réservés aux victimes dignes d'intérêt. Les crimes concernant les autres seront raconté froidement, sans détail et en quelques lignes.
Une autre étude détaillée concerne les élections en Amérique centrale pendant les années 1980. Les États-Unis ont largement soutenu les gouvernements terroristes du Salvador et du Guatemala - en les faisant passer pour des démocrates - contre leur population, tandis que les élections démocratiques du Nicaragua ont été considérées comme une mauvaise blague. Chomsky et Herman passent en revue les critères démocratiques conditionnels à une véritable élection : la liberté d’expression et de réunion, la liberté de la presse, la liberté d’association (syndicats…), la pluralité des partis, l’absence de terreur d’État, de climat de peur et de moyens de coercitions. Il se trouve qu'au Nicaragua, le gouvernement sandiniste était populaire et luttait pour l’intérêt général, presque tous les critères étaient respectés tandis que les états terroristes du Guatemala et du Salvador, soutenus par les E.-U., ne respectaient aucun critère et permettraient des massacres de masse. Ainsi les E.-U. soutinrent le massacre d'environ 200 000 personnes en Amérique centrale avec la pleine complicité des médias.
Les auteurs de l'ouvrage s'attaquent ensuite à la couverture médiatique de la tentative d’assassinat du pape Jean-Paul II en 1981 par Agça, un turc d’extrême-droite fasciste, membre des « Loups gris », aile dure du parti turc Action nationale. La Thèse Sterling-Henze-Kalb (du nom des journalistes et membre de la CIA qui soutinrent) affirme qu’il s’agit d’un complot du KGB bulgare sous prétexte qu’Agça avait séjourné en Bulgarie lors de ses visites aux Loups gris en Europe. Il s’agissait de lier URSS et terrorisme. Bien que la thèse n'eût aucune consistance, elle fut relayée dans tous les principaux médias. En réalité il l'URSS n'avait rien à voir là-dedans et la justice dû relaxer les Bulgares en 1986, faute de preuve...
Puis vient la couverture de la guerre du Vietnam. Il convient d'abord de rétablir rapidement les faits (énoncés par Chomsky et Herman) occultés par l'histoire officielle - relatée par les médias.
De 1954 à 1975, les E.-U. tentèrent d’imposer au Sud-Vietnam – au nom de sa « défense » contre le Nord-Vietnam, la Chine, l’URSS ou la résistance du Sud-Vietnam (FNL) - un gouvernement dictatorial sans aucun appui populaire, contrairement aux communistes qui disposaient d’une base massive. De 1962 à 1965, les blindés, le napalm, les bombardiers et le gaz vomitif américains avaient tué 150 000 personnes. Après 1975, ils imposèrent un embargo au pays qu’ils avaient ravagé. Entre temps, concernant les victimes vietnamiennes, il y eut 3 millions de morts (17 % pop), 300 000 disparus, 4,4 millions de blessés et 2 millions de victimes d’armes chimiques, sans compter campagnes dévastées par les bombardements, armes chimiques etc. En comparaison, il y eut 58 000 morts américaines alors que les américains étaient désignés comme les « victimes » du conflits.
Pour ce qui est des médias, jusqu’en 1967 le débat était circonscrit entre les « faucons », convaincus qu’en s’engageant pleinement les E-U pouvaient établir une démocratie au Vietnam et les « colombes » qui doutaient qu’on pût mener à bien de si nobles objectifs à un coût raisonnable. Puis les « hystériques en coulisses » s’opposèrent à la guerre par principe (mais ne la considéraient pas comme une agression américaine). Dans le même temps les témoignages des réfugiés étaient ignorés. Bien que de l'on dise aujourd'hui couramment que les médias se sont largement opposé à la guerre et au gouvernement durant la guerre, les faits montrent l'inverse. Voici quelques exemples :
En couvrant les combats de Ben Tre et de My Tho dans le delta du Mékong, la presse commentait la nécessité évidente de recourir aux chasseurs bombardiers et aux canons des hélicoptères pour faire sauter la ville, particulièrement les quartiers les plus peuplés (Lee lescaze, The Washington Post). Une étude de Georges Baily montre que la TV « suggérait que les Américains reconstruisaient le Sud-Vietnam » comme en témoigne un documentaire sur NBC de Huntley et Brinxley qui décrivait les « forces américaines au Vietnam comme des « constructeurs »
Concernant l'idée reçu qu'ils n'étaient soumis à aucune censure et qu'ils étaient à l'origine du retournement de l'opinion publique :
Edward Jay Epstein, analyste de la TV, explique que les « les grandes chaînes avaient des règles très précises concernant les reportages montrant des soldats américains blessés ou les souffrances de civils vietnamiens. Les producteurs des journaux du soir de NBC et d’ABC avaient ordonné aux rédacteurs d’effacer les images comportant des détails de frappes trop macabres ». Selon un sondage Harris de 1967, « 64 % d’un échantillon couvrant l’ensemble du pays déclarait que la couverture du conflit avait rendu les téléspectateurs plus favorables à l’effort de guerre américain, tandis que 26 % seulement en trouvaient leur opposition renforcée ». Ainsi « la TV avait conduit une majorité décisive d’Américain à soutenir la guerre ».
Et après le conflit, les États-Unis ont continué à s'ériger en victimes :
George Bush déclarait en 1992 : « Hanoï sait aujourd'hui que nous cherchons seulement des réponses et qu’il ne s’agit pas de menaces de demandes de réparations pour le passé ». Leslie Gelb, chroniqueur du NYT, estimait que le Vietnam devait être déclaré hors-la-loi du fait d’avoir tué des Américains.
Enfin, vient l'analyse du Laos et du Cambodge.
Le problème est le même qu’au Vietnam : les E.-U. et leurs clients sont militairement forts mais politiquement faibles. Les opérations militaires américaines clandestines débutèrent en 1961, les bombardements systématiques à partir de début 1964, s’intensifièrent en 1966 et la totalité des bombardiers disponibles y furent envoyés à partir de 1968.
La presse américaine s’abstint de publier quelque information sur les attaques à l’encontre de populations civiles sans défense et tâcha de disculper leur gouvernement : les bombardements n’étaient censés viser que la « piste Ho Chi Minh » (utilisée par les communistes vietnamiens pour passer du Nord au Sud-Vietnam par le Laos). On raconta ensuite que l’aviation américaine apportait un soutien tactique aux forces gouvernementales qui combattaient l’agression nord-vietnamienne.
Le New York Times ne publia aucun article concernant les bombardements du Laos jusqu’en mai 1969, puis affirma qu’ils ne concernaient que la piste Ho Chi Minh.
Pourtant, Walter Haney recueillait le témoignage d’un diplomate de l’ONU en poste au Laos affirmant : « les bombardiers détruisant quotidiennement tout ce qui était encore debout. Rien ne fut épargné. Les villageois vivaient dans des tranchées, des trous ou des grottes. Toutes les personnes interviewées, sans exception, avaient vu leur village complètement détruit. Dans leur dernière phase, les bombardements avaient pour objectif la destruction systématique de tout ce qui constituait la base de la société civile. »
Au total, c'est 2 millions de tonnes de bombes qui rayèrent de la carte 353 villages, tuèrent des dizaines de milliers de personnes et la plaine est encore aujourd'hui saturée de bombies, mines spécialement conçues pour tuer et mutiler qui continuèrent de faire 20 000 victimes par an (avec 50 % de mortalité).
Au Cambodge, de 1969 à 1975 : les bombardements américains et une guerre civile soutenue par les E.-U. ont laissé le pays complètement dévasté avec 600 000 morts sur 7 millions d'habitants et 2 millions de réfugiés.
De 1975-78 : le Cambodge fut soumis à la loi meurtrière des Khmers rouges qui firent un million de morts avant d'être renversés par l’invasion vietnamienne de décembre 1978. On peut là aussi s'interroger sur la responsabilité partielle des Américains qui, en détruisant le pays et en massacrant les populations, muèrent les communistes cambodgiens en fanatiques totalitaires.
À la fin du conflit, pour la seule ville de Phnom Penh, la famine faisait 100 000 victimes par an. Cela n'empêcha pas les Américains d'interrompre leur pont aérien alimentaire qui maintenait la population en vie.
Bien que les E.-U. aient dénoncé Pol-pot comme « un nouveau Hitler » commettant un « génocide », ils n’avaient pas tardé à lui assurer leur soutien (de 1979 à 1995, realpolitik), l’autorisant à conserver son siège à l’ONU et lui apportant aide et protection dans sa retraite thaïlandaise. De 1980 à 1986, l'assistance américaine aux Khmers rouges s’élève à 85 millions de dollars...
Pendant ce temps là en 1965, les E.-U. aidèrent Suharto à prendre le pouvoir en Indonésie et à massacrer au moins 500 000 Timorais la même année, soutenant sa dictature meurtrière pendant 32ans dont le massacre du référendum sur l’indépendance du Timor en 1999. Au total près de 2 millions de morts. Bien sûr, il n'y eût aucune évocation de la presse et encore moins de qualification génocidaire de ces crimes.
Bien au contraire en fait puisque ces massacres furent célébrés avec enthousiasme par Robert McNamara, alors secrétaire à la Défense, qui les considérait comme les « dividendes du soutien américain aux militaires indonésiens ». L’assistance militaire, économique et diplomatique qui se poursuivirent tout au long de la dictature de Suharto lui assuraient les égards des médias qui qualifièrent également ces « massacres de masse stupéfiant » (au total près de 2 millions de morts) comme un « rayon de lumière » (James Reston, NYT).
Remarque :
1) Les auteurs ne remettent pas en question les atrocités commises par les régimes communistes durant la Guerre Froide, l'URSS, les Khmers rouges et autres. Il s'agit de rétablir la vérité et de mettre fin à une vision manichéenne qui opposerait les Américains défenseurs du bien et les infâmes communistes.
2) Chomsky et Herman ne sont pas pessimistes. Ils mettent en avant le développement de sources alternatives d'information, les « stations de TV et radio-diffusion associatives et à but non lucratif, ainsi qu'un meilleur usage de l'audiovisuel public, d'internet, et de l'édition indépendante ».
3) Ceci est un résumé non-exhaustif de cet ouvrage de 600 pages dont je recommande chaudement la lecture.