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Publié par Milian

Nous venons de retrouver, parmi les mémos du smartphone de Julien Sorel, deux notes sans titre où Julien développe ses impressions vis-à-vis de Mathilde de La Mole. Il semblerait que la première note remonte au jour où Mathilde portait le deuil de son ancêtre au chapitre 10 du Livre second (p. 363 à 377) :

Dans le smartphone de Julien Sorel - Mémos

 

Mathilde de La Mole m'intrigue, décidément. J'ai toujours cette même impression que j'avais lors de notre première rencontre : elle est fort belle et ses yeux sont si éclatants. Et puis, elle évolue avec tellement d'aisance dans ce prestigieux milieu qui est le sien. Elle manie à la perfection le langage et ne se refuse jamais à l'ironie ou la moquerie quand les interminables conversations au salon de La Mole prennent un tournant qui ne lui convient pas. Il va sans dire que, frôlant l'insolence, on ne pourra guère lui reprocher l'impolitesse. Mais ce qui excite le plus mon étonnement, c'est cet air hautain et ennuyé qui, à vrai dire, laisse croire qu'elle eût préféré naître sous un autre toit. Du peu que j'arrive à comprendre son tempérament complexe, Mathilde eût certainement voulu s'évader et rêver à une existence plus riche en surprises. Dans ses yeux bleus d'ailleurs, j'aime à observer cet espoir qu'un jour survienne un événement capable de bouleverser son quotidien assommant. En effet, ce dernier se résume à accueillir à l'hôtel de La Mole, comtes, marquis et autres personnages à l'air prétentieux, et à leur tenir bien des palabres inutiles la journée durant.
 
Serait-ce de l'amour que j'éprouve pour cette noble femme ? Je ne le crois point. J'aime à penser plutôt que je ressens pour elle une admiration débordante. Elle me fait penser à Napoléon par son courage et sa volonté de conquérir quelque autre monde, quelque autre territoire avec le projet d'offrir à son existence une nouvelle expérience.

Aujourd'hui, Mathilde m'a beaucoup surpris par hommage à son ancêtre M. Boniface de La Mole, décapité en 1574. C'est une pratique fort étonnante quand on sait combien elle se plaît à blâmer le haut milieu dont elle fait partie. Il faut croire qu'à travers son aînée, elle célèbre à nouveau les vertus que sont le courage et la grandeur d'âme. Il est touchant de voir combien elle est fidèle à son ancêtre qui avait fait de sa vie un combat ; cette femme est, en réalité, d'un grand respect.

 

Il semblerait bien que Julien ne manque aucun détail, surtout en ce qui concerne Mathilde. L'élévation sociale du jeune homme n'est pas le fruit du hasard ni celui de la chance. Julien a bel et bien été capable d'observer puis de reproduire les manières si complexes de la noblesse parisienne. Des notes comme celle-ci ont probablement été nécessaires dans ces stratégies au sein de l'hôtel de La Mole. Mais Mathilde ne correspond pas à l'idée qu'il s'était faite d'un membre de la noblesse, et la grande curiosité de Julien le pousse à s'intéresser de plus en plus à elle.

 

Mais nos découvertes ne s'arrêtent pas là. Nous avons retrouvé une deuxième note, écrite juste avant que Mathilde ne déclare son amour pour Julien au chapitre 13 du Livre second (p. 389) :

Dans le smartphone de Julien Sorel - Mémos

 

Il me semblait avoir noté que Mlle de La Mole, son frère le comte Norbert et leurs amis MM. de Caylus, de Croisenois et de Luz passaient le plus clair de leur temps à mépriser ma maladresse de plébéien. Mais il n'en est rien, du moins en ce qui concerne Mathilde. Aujourd'hui, j'ai vécu une chose bien étrange : lorsque Mathilde a fait partir ses amis, nous nous sommes retrouvées dans le jardin et avons échangé un moment. La conversation devenant peu à peu insipide, je me suis résigné à prendre congé de Mlle de La Mole. Mais celle-ci m'a retenu et quelle n'a pas été ma surprise quand elle m'a dit que je devais recevoir une lettre de sa part ce soir. Elle a ajouté qu'elle avait horreur de l'idée de me voir quitter l'hôtel comme je dois le faire demain. "Il faut ne pas partir demain" , m'a-t-elle dit.

À cet instant, je n'ai pas encore reçu la missive mais la dernière phrase de Mathilde m'a profondément bouleversé. Tout porte décidément à croire qu'elle a de l'affection pour moi... Peut-être même qu'elle m'aime ! Une jeune et belle parisienne issue d'une noble famille aimerait-elle un vulgaire fils de charpentier ? Je ne parviens pas à y croire. Il me tarde de lire son courrier pour en avoir le cœur net...

 

Bien que particulièrement consciencieux et soucieux d'agir dans la plus grande méthode, Julien se retrouve désemparé face à Mathilde... Quand sa rigueur, sa mémoire et ses stratégies lui permettaient de susciter les éloges de M. le marquis de La Mole, il en va d'une toute autre manière avec Mathilde. Son voyage dans le Languedoc était une mission que le marquis lui avait confiée et jamais Julien n'aurait imaginé s'opposer à une décision de M. de La Mole. Mais, envahi par ses sentiments pour Mathilde, il ne sait plus que faire...

 

Mathilde de La Mole jouée par Judith Godrèche
dans le film Le Rouge et le Noir de Jean-Daniel Verhaeghe (1997)
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