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Publié par Milian

Fake - Alcools
COURRIER DES LECTEURS du 14 mai 1913

La semaine dernière, vous lisiez dans L'Aurore le courrier d'un lecteur révulsé par l'oeuvre Alcools de Guillaume Apollinaire. Aujourd'hui, nous avons la chance de publier la réponse du poète lui-même, qui a eu la bonté de réagir face à la véritable insulte de Jean Molivet. Revenons d'abord à la missive de notre lecteur :

 

Je m'adresse au poète que certains adorent,

Qui tente, tâte et griffonne encore et encore,

Poésie ou prose, de très étranges vers,

Insensés, vulgaires, Guillaume Apollinaire.

 

 

A peine si la presse aime le publier,

Car ce poète épris de la modernité,

Au prétendu pouvoir de nous impressionner,

N'est en réalité qu'amateur illettré !

 

 

Baisers de Rosemonde, vers défigurés,

Inintelligibles paroles torturées !

Mais réalisez-vous ce que vous écrivez ?

 

 

Vous parlez de vitrines et d'oiseaux de métal,

De personnages affreux, honteux et miséreux,

Votre monde nouveau est morose et banal.

 

Jean Molivet, lecteur assidu de l'Aurore

 

Guillaume Apollinaire nous a donc aimablement remis sa réponse hier soir, que voici :

 

          Cher lecteur

Qui du Clair de Lune

    de la Tzigane

    du Vent Nocturne a-t-il éveillé ce Brasier ardent de pensées ivres

 

Mes esquisses ne veulent pas vous plaire

Le monde non plus d'ailleurs

Mes semblables fondés en poésie1 n'ont aucun mérite nulle gloire pas d'honneur

A suivre vos conseils

A couler tel un rayon de miel2

A se résigner à ce monde ancien3

 

Je reconnais l'Ermite le Larron

Chanter le mal-aimé j'admets

Que mon Univers n'est pas toujours gai

 

Je me confesse autant quant au femmes rhénanes

Annie Marie ou Salomé aussi

Car vos croyances désuètes sûrement vous défendent

D'admirer les femmes Vos croyances interdisent

De célébrer villes et pays du globe

Car ils sont vides et qu'elles sont laides

 

          Cher monsieur

Offrez donc à vos yeux ce qu'ils n'ont jamais vu

Que l'habitude couve l'insolite

Que la Maison des Morts abrite des vivants

Que la tour Eiffel et le Pont Mirabeau sont plus que des métaux

 

Voler à tire-d'aile4 pour se soustraire au sol et contempler la Terre

Vos rêves ne s'élèvent-t-ils donc pas si haut

Pauvre oiseau sans ailes

 

          Mon ami

Profitons de la vie je vous invite à boire un Soir

A votre Santé mon ami

Et quand nous aurons bu le vin de mai5

Alors de vive voix vous me raconterez

Comment vous concevez la modernité

Mais peut-être auriez-vous préféré une Eau-de-Vie6

 

 

De quoi faire taire cet homme audacieux ! Dans son courrier, Apollinaire sème expressément des références aux poèmes d'Alcools et sa repartie n'en est que plus forte. Il insère par exemple les titres de certains poèmes. L'Aurore a pour vous rassemblé les citations d'Alcools disséminées dans la lettre :

1. fondés en poésie : il évoque ainsi ses amis écrivains et artistes qui selon lui ont des "droits sur les paroles" dans son "Poème lu au mariage d'André Salmon"

2. rayon de miel : extrait de "Clair de Lune"

3. ce monde ancien : provient du premier vers du recueil "A la fin tu es las de ce monde ancien", dans le poème "Zone"

4. à tire-d'aile : toujours dans "Zone", le poète célèbre différentes espèces d'oiseaux car c'est pour lui un symbole de liberté

5. Nous aurons bu le vin de mai : ce sont les mots d'un des brigands rhénans dans le poème "Schinderhannes"

6. Eau-de-Vie : titre initialement prévu pour le recueil, qu'Apollinaire a finalement changé pour Alcools car il ne le trouvait pas assez moderne

 

source image : en-tête de L'Aurore

source image : signature d'Apollinaire

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