Pratique réflexive - Sur les traces numériques de Magnus
Confronter à l'hypermnésie du web un personnage en partie amnésique : c'est le défi que se sont lancé les lycéen.nes i-voix pour explorer, dans la culture numérique, le roman de Sylvie Germain Magnus.
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Sur les traces numériques de Magnus - uMap
http://umap.openstreetmap.fr/en/map/sur-les-traces-numeriques-de-magnus_223309
Traçage du personnage sur une carte numérique
Au terme de ce travail créatif de lecture-écriture-publication, les lycéen.nes ont mené un travail de réflexion.
Que nous enseignent ces traces numériques :
- sur le personnage lui-même, son parcours, son identité, sa quête ?
- sur la mémoire du web en général ?
Sur les traces numériques de Magnus by i-voix saison 10 on Genial.ly
https://view.genial.ly/5b175ca96e8c5807e451fd08/sur-les-traces-numeriques-de-mag
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LA QUÊTE DE MAGNUS
BILAN DE LA QUÊTE DE MAGNUS
Qu’est-ce que Magnus n’a pas trouvé ?
Magnus n’a pas trouvé ses origines, il n'a reconstitué que des bribes de son identité.
P. 240 : lors de la transe nocturne, son vrai nom lui apparait et « il l’écrit du bout de son index dans la poussière. »
P. 243 : le lendemain matin, en se levant, il efface involontairement ce nom, dont « il ne distingue plus qu’une lettre : un L ».
De ce point de vue, la quête a échoué.
Qu’est-ce que Magnus a appris ?
Au fil de son parcours initiatique, Magnus a trouvé des trésors.
Il a compris qu'il était capable d'aimer et digne d'être aimé.
Il a appris la force du pardon et la vanité de la colère, le chemin vers l’autre plus que le piétinement en soi.
Il a découvert que la clef était l’effacement plus que le ressassement…
La fin du roman lui offre une libération : il est délivré des tourments qui hantaient sa crypte intérieure, il peut se débarrasser de l’ourson Magnus, son double des cavernes, et « s’en aller ». Il est apaisé et réconcilié parce qu’il n’a plus besoin de rechercher ses origines : inutile dès lors d’aller enquêter en Islande ou de percer le mystère du L. L’effacement final du nom lui permet même d’aller vers le non-être : l’identité ne peut se construire qu’en se défaisant. Magnus est allégé. La quête a abouti parce que précisément il n’y a plus nécessité d’une quête.
Leçon à retenir : il faut se souvenir pour se délester des souvenirs qui pèsent, l’identité n’est pas à chercher dans une vaine recherche du passé, irrattrapable, plutôt dans un projet, qui ouvre la possibilité d'un devenir.
Que nous a appris ce travail sur les traces numériques ?
Que nous enseigne cette confrontation entre un personnage amnésique et l'hypermnésie du web ? Peut-on se libérer des data centers comme Magnus se délivre de sa crypte intérieure ?
A travers ces articles, nous comprenons que beaucoup d’éléments de notre vie peuvent être retrouvés sur internet si l’on ne fait pas attention. Même en faisant attention il est difficile de cacher sa vie. On a des conversations avec des personnes plus ou moins proches par SMS, on laisse des messages sur leur répondeur, certains postent des photos sur Instagram ou Snapchat en écrivant en description leur état d’esprit du moment. On voit donc qu’il est possible de retracer presque entièrement la vie de quelqu’un seulement grâce à quelques applications ou sites internet. Ici, nous avons fait semblant de retracer l’intégralité de la vie de Magnus, ses pensées, ses souvenirs douloureux, ses réflexions… On pourrait imaginer que Magnus aurait laissé ces traces non intentionnellement sur internet, et que nous les aurions retrouvées.
Cela nous apprend que les traces sont permanentes et elles nous suivent partout comme le passé suit le héros. Magnus se retrouve « dans un monde sans oubli, où tout est documenté. » (Louise Merzeau) comme Internet. Sur Internet nous laissons tous de nombreuses traces numériques dont nous oublions souvent l’existence, ce que nous pouvons lier à la perte de mémoire de Magnus de ses 5 premières années.
Les traces numériques permettent de « dessiner » le portait d’un personnage, on peut facilement retracer son histoire, son voyage, ses ressentis, sa quête, savoir qui il est. Les traces numériques en 2018 sont comme la trace de passage de notre vie.
On ne peut pas échapper à ce qu’on a posté sur internet dans le passé. Si Magnus avait eu internet, il aurait eu un chemin différent : il n’aurait pas pu oublier son enfance et faire le vide en lui.
Vu que tout est mémorisé sur internet, l’utilisateur n’a plus besoin de rechercher dans ses souvenirs, de faire travailler sa mémoire. Ce que Magnus fait tout le long du roman, il cherche au fond de sa mémoire pour trouver qui il est : avec les traces numériques cela serait sans doute plus facile.
Selon Louise Merzeau, « la réappropriation va consister à transformer cette logique du stockage en écriture mémorielle ». Ainsi, les fragments de souvenirs éparpillés qui reviennent fugacement à Magnus permettent de reconstruire sa mémoire dans un ordre logique et chronologique.
Les traces numériques restent, aussi infimes soient-elles, composées de chaque recherche faite sur Internet. Elles peuvent prendre diverses formes comme une recherche internet, un compte sur un réseau social, une playlist... et se retrouver des années plus tard, alors que vous avez changé, vieilli, mûri, que vos goûts ou idées ont changé et que vos opinions sont différentes.
En effet, ces traces peuvent être intentionnelles comme non intentionnelles, et il n’est jamais indiqué dans quel contexte telle ou telle recherche est faite, ce qui signifie que votre visite sur un site controversé, ou un site politique sera tracée, mais il sera impossible de savoir pour quelle raison vous avez été sur ce site. Ces données collectées sur vous peuvent ensuite être transmises à des agences de publicités qui ciblent ensuite les personnes en leur proposant des publicités personnalisées. Les données sont pour cela croisées : on le voit dans notre travail sur i-voix : il est possible de retrouver une vraie personne derrière nos travaux, en faisant la synthèse, la somme des informations créées. Notre Magnus a ainsi des goûts musicaux, cinématographiques, esthétiques, il a des habitudes, un passé qui ont laissé des traces qu’il serait possible de regrouper afin de créer son identité. Le même travail peut être effectué sur chacun de nous, sur chaque individu.
Contrairement à Magnus, qui a perdu la mémoire, notre société a donc perdu l’oubli, retenant tout de chacun, ses erreurs comme ses détails, et désacralisant la mémoire elle-même : il n’y a plus aucun effort à fournir pour s’inscrire dans la postérité, mais rester discret et anonyme devient une épreuve quasiment impossible. C’est un effacement de la vie privée puisque n’importe qui peut avoie accès à des informations intimes nous concernant.
Les traces que nous laissons peuvent très facilement être retrouvées par autrui, ce qui nous en dépossède et, comme le souligne Louise Merzeau, le danger est qu’elles peuvent êtres alors réutilisées et décontextualisées.
C’est la raison pour laquelle c’est à nous de nous les réapproprier, en mettant en place une mémoire numérique sur laquelle nous avons le contrôle. Il ne faut pas tomber dans les extrêmes et vouloir tout supprimer, mais inscrire nos traces dans le temps pour qu’elles se transforment non plus en « traces déposées » mais en « traces récoltées ».
À cette anticipation statistique des manières d’agir, nous devons […] opposer une anticipation réflexive, où c’est le sujet qui projette l’exploitation de ses traces. Le fonctionnement même de la traçabilité numérique incite à passer ainsi d’une gestion du passé à une gestion de l’avenir. (…) Développer une compétence numérique revient donc de plus en plus à anticiper le devenir trace de sa présence en ligne.