Lettre d'un metteur en scène - Lorenzaccio
Ma très chère petite troupe,
Comme je l'ai déjà fait précédemment avec certaines scènes, je vous écris aujourd'hui pour vous donner quelques indications à propos de la scène VI de l'acte II. La réussite de cette scène me paraît importante car elle permet de mettre en lumière le comportement douteux de Lorenzo.
Lorsque le public vous découvrira tous trois, Giomo, le duc de Médicis ainsi que Tebaldeo le peintre, je tiens à ce que vous soyez placé de la sorte :
- Le duc, placé en hauteur par rapport aux autres à l'aide d'une petite estrade sur laquelle il se tient droit, le menton relevé en une attitude fière et arrogante. Comme précisé dans les didascalies de la pièce, il sera à demi nu mais aussi drapé de blanc.
- Tebaldeo se tiendra de profil, une toile devant lui et feignant de peindre un portrait du duc. Il sera vêtu de manière assez simple, une chemise blanche et un pantalon noir, par exemple. Il sera placé à droite du duc.
- Giomo, quant à lui, sera assis sur une banquette à la gauche du duc, un peu en retrait mais dans une posture décontractée, vêtu assez richement. Il tiendra dans ses mains une guitare. Il devra être en train d'en jouer et de chanter dès que les lumières se rallument pour laisser place à la scène VI.
Au niveau du décor, quelque chose d'assez simple : un fond noir avec un trou dans le mur pour simuler une fenêtre, une estrade et une banquette en guise de mobilier.
Lorsque le duc entame la conversation, je veux qu'il prenne un ton un peu méprisant, aux accents vulgaires bien qu'il s'adresse à Giomo en toute sympathie. Je souhaite également qu'il essaye de rester immobile : seule sa tête bougera lorsqu'il parlera. Giomo et le duc doivent essayer d'adopter un ton léger même s'ils parlent d'un homme que l'écuyer aurait exécuté. Quand le duc s'adresse au peintre, je veux que le mépris soit plus perceptible dans sa voix et qu'il adopte un ton presque menaçant. Et Tebaldeo se doit donc de lui répondre avec soumission et politesse.
Comme indiqué dans les didascalies, Lorenzo arrive bientôt. Je tiens à ce qu'il soit tout de noir vêtu, les yeux maquillés de noir également pour assombrir son regard. Il gardera un sourire hypocrite ainsi qu'un ton doucereux au cours de la scène. Il doit également démontrer un intérêt certain pour la cotte de maille du duc. Il se déplacera de long en large sur la scène, en parlant au duc mais aussi en contemplant le vêtement qu'il tiendra entre ses mains précautionneusement. La fierté doit transparaître dans la voix du duc lorsqu'il en parle : il faut que le spectateur puisse voir combien il y tient.
Lorsqu'il feint d'avoir perdu sa guitare, Lorenzo doit surjouer, accentuer l'interrogation car il s'agit d'un prétexte pour voler la cotte de maille et sortir. Il regarde donc autour de lui voire en tournant plusieurs fois sur lui-même, peut même se frapper le front et sortir d'un air faussement perturbé.
Peu de temps plus tard, Giomo doit se pencher à la fausse fenêtre en prenant un air intrigué ou pointe un léger ton accusateur. On doit comprendre qu'il se passe quelque chose d'anormal.
La panique doit peu à peu s'instaurer dans la scène alors que la recherche de la cotte de maille devient de plus en plus vaine. Tebaldeo peut s'en aller au moment où il annonce la fin du portrait. Le duc et Giomo peuvent maintenant se déplacer à grands pas sur scène en regardant frénétiquement autour d'eux.
Quand Lorenzo reparaît sur scène, le duc lui demande d'un ton accusateur où se trouve le précieux vêtement. Lorenzo doit alors répondre d'un ton désinvolte, léger en montrant quelques endroits au hasard. Puis, il lève sa guitare pour la montrer aux autres et commence à chanter de manière guillerette. Le duc doit ensuite hurler "Que le diable t'emporte ! c'est toi qui l'as égarée." comme s'il allait piquer une crise. Lorenzo le calme rapidement puis le prend par le bras pour quitter la scène contrairement à la didascalie indiquant qu'Alexandre s'assoit à côté de Lorenzo.
Il ne reste donc plus que Giomo qui récite sa tirade d'un air soupçonneux et sceptique en faisant les cent pas. Puis il haussera les épaules en décrétant qu'elle doit être sous un fauteuil. Lorsque tout redeviendra noir, je tiens à ce que cette musique soit présente :
car elle témoigne du suspens qui s'installe au fur et à mesure de la pièce.
Je compte sur vous pour donner le meilleur de vous-même, bien que je ne doute pas un seul instant de votre efficacité.
Signé : votre metteur en scène préféré.
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