Création - Histoire d'un immigré
Cher Journal,
Nous sommes aujourd'hui le 20 mars 2018, je sais, cela fait bien longtemps que je ne t'ai pas écrit, donc je pense qu'il serait nécessaire de faire une sorte de mise à jour, de remettre les choses au clair. Donc j'ai maintenant 16 ans, je suis au lycée, j'ai beaucoup grandi depuis le temps, je fais 1m81, j'ai laissé mes cheveux pousser, mes yeux sont toujours d'un marron profond et je suis toujours aussi mince. J'ai d'ailleurs essayé de faire du sport, mais j'ai laissé tomber au bout de 2 semaines. Je vis toujours avec mes parents, le fait d'être fils unique ne me dérange plus pour autant au contraire de ce que je t'avais dit auparavant. De toute manière, je n'ai pas vraiment le temps de penser à tout cela étant donné l'état dans lequel se trouve ma ville, nous sommes en guerre enfin du moins c'est une guerre civile qui oppose les Narcotrafiquants venues s'installer en Espagne et le gouvernement, je n'arrive pas à croire que je me trouve en plein cœur de ce mouvement. Enfin, je ne sais pas pourquoi, mais aujourd'hui, j'ai eu envie de t'écrire, après une longue journée passée au lycée. Je t'écrirai sûrement demain, mais pour l'instant, je dois aller dîner.
Aujourd'hui, je t'écris parce que je pense que tout ne sera jamais plus comme avant, ma vie vient d'être bouleversée en un instant. À cet instant où je t'écris, je me trouve dans un espèce de coin en vérité, je ne sais pas où je suis. Je t'écris en état de panique, de stress, je ne sais pas pourquoi, mais je ressens le besoin de t'écrire. Je pense que tu ne comprends pas pourquoi je panique alors je vais te le dire. J'étais... Enfin, moi et mes camarades de classe étaient dans le hall quand nous avons entendu des cris, pleins de cris les uns, plus horrifiants que les autres. J'ai entendu quelqu'un crier « on nous attaque ». Dans des moments pareils des mesures de sécurité doivent être établies comme évacuer l'établissement, ne pas prendre son sac... Etc. Sans me retourner, je suis parti chez moi... J'ai entendu crier, c'était ma mère qui me disait de ne pas rester là sans bouger, d'aller chercher du secours, mon père s'est pris une balle alors j'ai couru sans regarder ou j'aller, j'ai ressenti une atroce douleur insoutenable, je me suis écroulé, j'entendais des cris, pleins de cris. La douleur m'a submergée, elle devenait de plus en plus insoutenable, mes yeux se fermaient petit à petit. Mais je me devais de trouver du secours alors je me suis rendu chez mes voisins, je crois que le mari de ma voisine est un ancien médecin. Je pensais qu'il n'était pas là alors j'ai tourné le dos à leur magnifique salon, quand soudain, j'ai entendu des pas lourds s'approcher. C'était lui ! Alors sans réfléchir, je lui ai tout expliqué. Nous nous sommes directement rendus chez moi, pendant qu'il soignait mon père, moi, je priais pour qu'il s'en sorte. C'est à ce moment que ma mère est venue et m'a dit qu'elle voulait que je quitte à toute vitesse l'Espagne. Elle m'a tendu une lettre pleine à craquer et m'a expliqué que tout ce dont j'avais besoin de trouver à l'intérieur. Je l'ai prise. Au fond de moi, je pleurais de toutes mes forces, mais je n'ai rien laissé paraître à l'inverse de ma mère. J'ai fini par faire mes adieux à l'Espagne, je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'étrange sensation qu'elle et moi, nous ne sommes pas prêts de nous revoir d'aussi tôt.
Cher Journal,
J'ai ouvert l'enveloppe que ma mère m'a donnée, il y a de l'argent et une lettre de mes parents qui me disent qu'ils m'aiment et que je dois partir d'Espagne pour rejoindre la France. Ma mère m'a même mis mon Doudou, je ne l'utilise plus depuis que j'ai 10 ans, mais je sens que je vais en avoir besoin. Dans la lettre, mes parents m'ont expliqué qu'ils ont décidé de me faire partir seul en bateau, ils ont payé un billet à 2000 euros à des passeurs pour que je puisse embarquer, le voyage ne doit durer que 1 jour, 2 tous au plus. Je dois venir la nuit, vers 22h pour partir. J'ai un peu peur d'être sans mes parents, sans repères et je ne sais pas trop ce qui va m'attendre.
Cher Journal, je m'apprête à embarquer,
J'ai mon sac à dos qui contient 1 paquet de barres de céréales et de l'eau, la lettre et l'argent, quelques vêtements. Il y a une atmosphère étrange. Un homme assez grand qui a l'air pressé, nous donne le signal pour monter sur l'embarcation. Je regarde derrière moi puis je monte sur le bateau, bizarrement, il me semble moins énorme, je suis serré, limite étouffée avec tous ces gens qui se piétinent. Il y a 10 passeurs qui viennent avec nous, je regarde au loin la maison de mes parents, le bateau s'éloigne du quai. Pendant des heures plongées dans le noir, je pense à ce que j'ai quitté : mes amis, ma famille, mes habitudes, j'ai laissé ma vie.
Je me réveille, toujours aussi oppressé par cette masse humaine, il fait chaud, tout le monde parle, on entend les rêves et les espoirs d'une vie meilleure en France. Les uns pensent rester en France, les autres trouver du travail ailleurs... J'observe les gens, il y a des enfants, des nourrissons, des jeunes adultes et des vieux. Il fait chaud, j'ai bu toute mon eau. Je pensais que nous serons arrivés à destination en fin de journée, mais il semble que nous soyons retardés par les rondes des bateaux frontières, car nous ne devons pas nous faire voir apparemment...
Je suis réveillé par des cris, je mets peu de temps avant de comprendre que les passeurs sont partis. Nous sommes seuls au milieu de la mer, personne ne sait diriger ce bateau, personne ne sait où nous sommes, tout le monde hurlent, implorant n'importe quel dieu, je sais que si nous n'arrivons pas nous céderons à la folie, nous nous tuerons pour une goutte d'eau. Les jours passèrent, je vois les espoirs des gens s'évanouir, je vois les corps sans force s'éteindre. Le temps était devenu long, les esprits étaient dans une espèce de léthargie, quelques bagarres éclatèrent, Mais les corps étaient bien trop faibles pour se battre. On se partage les dernières gouttes d'eau, je me sens faible, j'ai faim, je n'ai plus de nourriture, je suis fatigué d'être dans cette embarcation, d'entendre les cris des enfants, les lamentations des autres. Les jours passent et le bateau se vide.
Mon ami, la chance à tournée,
On aperçoit un bateau ! On hurle, on fait des grands gestes pour qu'ils nous voient, c'est un bateau français ! Le bateau s'appelle l'Abeille, ce sont des militaires, je crois.
Cher Journal,
Cela fait un mois que je suis en famille d'accueil à Paris. Ils sont très sympas, mais je n'arrive pas à les comprendre, vu que je ne parle pas un mot français. Apprendre le français s'avère être plus difficile que ce que je croyais, mais dans mon lycée il y a une classe spéciale pour les élèves étrangers qui s'appelle FLE, qui veut dire français langue étrangère. Ces cours m'aident beaucoup, mais j'ai du mal à communiquer avec les gens de ma classe et avec ma famille d'accueil. En effet, j'ai remarqué que les Français parlent très vite ce qui m'empêche de comprendre ce qu'ils disent. Je me sens seul quand je suis à la maison et au lycée pendant la récrée et au self, car, personne ne me parle. La seule fois où je ne me sens pas seul, c'est en cours d'Espagnol, où je peux m'exprimer dans ma propre langue. D'une part, le cours d'espagnol me fait sentir vivant et me fais sentir bien dans ma peau, mais d'autre part quand j'entends ma langue natale, je pense à mes parents et à toute ma famille que j'ai laissés derrière moi. Au lycée, en regardant les jeunes dans la cour, je me sens mal dans ma peau, je ne me sens pas intégré avec les autres jeunes, car nous avons des cultures différentes, nous nous habillons de manière différente, nous avons des signes de communication différents. Bref, les adolescents français et espagnols sont très différents. À vrai dire, je regrette toutes les fois que j'ai dites à mes parents que je n'aimais pas la façon dont les jeunes espagnols se comportaient, mais maintenant, je dois avouer que ce comportement me manque, car ici, je ne me sens pas à ma place, je sens que je n'appartiens pas à ce pays.
J'ai envie de pleurer chaque jour, à tous moment, car où je regarde, il y a des choses qui me rappellent l'Espagne et mes parents. J'ai envie de pleurer, car je ne sais pas quoi faire. Je ne peux pas m'exprimer, car mes parents ne sont plus là, je n'ai pas d'amis et ma famille d'accueil ne me comprend pas. Malgré tous les efforts que je fais, et même le FLE, je n'arrive toujours pas à comprendre ce qu'ils disent à la télé, du coup, je regarde dans le vide quand nous sommes tous réunis. Pendant les repas, tout le monde rigole, comme s'il n'y avait pas une guerre dans le pays à côté. Les guerres peuvent avoir lieu en un clin d'œil. Comme mon grand-père disait : « C'est plus facile de commencer une guerre, que de la finir et quand elle se finit, elle laisse des marques ». Moi, je sais que je vais avoir des marques psychologiques et je sais aussi que mes parents auront des marques physiques et psychologiques, comme tous les espagnols qui sont resté en Espagne. À l'école en cours de français, j'ai envie de me lever de la chaise et de partir, car quand je vois les textes que toute ma classe lit à voix haute sans aucun problème, cela me fait sentir inférieur à eux, car moi, j'ai des difficultés par tout, même si c'est un petit mot. Mais heureusement qu'il existe les cours de sport, où on peut courir et comme mon père dit toujours : « Courir nous permet d'oublier tous nos problèmes ». Maintenant, je comprends ce qu'il veut dire, car quand je cours, je sens le vent contre mon visage, et à partir de là, je me concentre sur mes pieds qui battent contre le sol, et cela me permet d'oublier que mon pays est en guerre, que mes parents sont peut-être morts et que je suis entouré de personnes qui ne parlent pas ma langue. Même si je ne suis pas d'accord avec la décision de mes parents, je sais que je ne suis pas le seul qui souffre, car pour eux ce n'était pas facile de me voir partir, surtout quand il y a une guerre. Je m'inquiète pour eux, car ils sont encore là-bas et moi, je suis ici, sans aucune nouvelle. Maintenant, je comprends ce que nos ancêtres ont ressenti et maintenant, je sais pourquoi on étudie les guerres à l'école. Car on ne peut pas oublier ce qui s'est passé, ce que les gens ont subi.
On pourrait dire que mon intégration ne se passe pas comme je l'avais prévu, mais j'ai de l'espoir car je sais qu'une fois que je saurais parler français, je pourrai communiquer avec ma famille d'accueil et même me faire des amis au lycée, car comme la régression statistique le dit : " la vie n'est jamais complètement bonne ou mauvaise, car tout fini par se rejoindre au milieu ". Donc si ce mois a été un peu difficile, les prochains ne pourront être aussi difficiles, car la balance va finir par se pencher vers l'autre côté, pour s'équilibrer. Tout ce que je peux espérer ce moment, c'est que mes parents et toute ma famille soient en vie, car pour moi, mes parents sont les personnes les plus importantes de ma vie.