Bibliographie - Cédric Le Penven
à ce que je suis, à ce que je dis
Je m'étonne encore souvent
que ces mains s'agitant devant moi
soient le prolongement de cette voix intérieure
qui chuchote et chuchote encore
des paroles étranges
Nulle histoire, nul message
juste des phrases offertes
que je place au milieu d'une page vide
dont je pèse chaque mot, interroge
chaque virgule, comme s'il en allait
qui me ressemblerait enfin"
"Ce que l’amantier tait jusqu’à la nuit
"Ce qu’il reste d’une mer, la roche tatouée de squelettes, la fantasmagorie plus dure, plus molle que la chair. Elle écarte des plaies qui rêvent de coups de rasoir. Ce rouge, ces ventres sioux tournés vers le ciel, c’est l’assurance de grandir un peu."
Des poèmes de ce recueil aussi sont parus dans Encres Vives (dans le n°365 plus précisément) comme par exemple :
"Tu sais que je m'enfonce. Que j'ai besoin de créer des murs autour du silence. De lui construire une gangue. Un piètre édifice. Tu sais que je m'enferme pour chercher. que je parle avec un double. Que je frôle des canines aiguisées. Tu voudrais que je parvienne à expirer, lentement, comme un ballon de baudruche percé. Un sifflement perceptible à qui prête l'oreille.
Écoute mourir la soif."
En 2009, Menus Travaux est publié et l'année suivante Elégies Barbares qui eut 4 voix pour gagner le prix du poème en prose Louis Guillaume lors de sa 36è année mais il perdit face à Raphaël Miccoli pour Cœur à corps qui lui eut 5 voix.
En 2012, avec Adolescente florentine il se fait vraiment un nom dans la poésie. Le voyage et l'écriture ont un lien pour lui. Il pourrait rester des heures à contempler un même paysage et, à l'âge où on songe plus à s'amuser ou à séduire, il a rencontré un moine dominicain à San Marco. Cette rencontre l'a profondément marqué et il a su alors qu'il devait écrire cette rencontre improbable. Il mit 12 ans avant de finir la rédaction d'Adolescente florentine qui en parle. C’est dans Adolescente florentine que Cédric Le Penven permet la rencontre improbable entre un jeune poète d’aujourd’hui et des allusions aux fresques religieuses peintes par un moine dominicain, Fra Angelico, en plein XVe siècle, comme le disait au tout début de cet article. Il y ferait des préventions philosophiques qui n'empêcheraient cependant rien à la chute inextricable dans la réflexion sur le sens des images bibliques. Ce recueil sonnerait comme une invitation bienvenue à visiter tous les édifices et les chambres du couvent San Marco. La rumeur et le silence se croiseraient dans ces textes. En conclusion, Adolescente florentine serait la preuve que jamais son auteur ne sortira de la sienne mais aussi qu'il y fait son éducation.
Voici quelques extraits de cette oeuvre :
"Florence sème des christs et des madones comme des géraniums"
"Si la Foi a un siège, il est à l’estomac."
"Je suis sûr que la Foi peut rendre un homme divin."
" Un chapelet de cellules où chacun dort avec son ombre."
"La vrille du buste comme / fugue impossible vers un matin calme… On ne peut lire dans les yeux / d’un homme qui n’a pas de regard / mais deux orbites que la lumière ignore.
" Il faut recueillir les mots échappés / des rêves des statues."
"Et si parler ne faisait que creuser la faim / je continuerais encore puisque l’absence a bon goût."
Sur un poème de Thierry Metz. Ce dernier est peut-être celui qui a plus retenu l'attention parce qu'il a été écrit en l'hommage du poète Thierry Metz, comme le nom du recueil l'indique, décédé il y a maintenant plusieurs années. Il décortique certains de ses poèmes et se confronte aux questions les plus intimes que ces textes soulèvent. Ce serait un recueil émouvant, aussi doux qu'un tissu, qu'un matin sous la neige, que la main d'un être qui nous est cher.
"Le titre, sang sur la neige de papier.
Les noms du poète et de l’artiste.
Encre noire des mots.
Et tout en bas, deux initiales. J.B."
Dit l'auteur d'un commentaire.
Le travail de l’artiste et de l’éditeur, Jean Gilles Badaire, serait ici plus que jamais mis au service des poètes. Car dans ce recueil, ils sont deux poètes : Cédric Le Penven et Thierry Metz. Et leurs poèmes et leurs noms se joignent en cet oeuvre. On y lit les reprises de Thierry Metz par Cédric Le Penven du début à la fin. Il s'approprie ses textes comme nous le faisons aujourd'hui. Il pioche dans les poèmes initials certains mots marquants.
"Le temps d’un livre, dit Le Penven, lecteur et poète auront suivi le manœuvre de mot en mot, cet « homme qui va revenir » et qui laisse derrière lui une soif lancinante et cette douleur inscrite dans le chemin de celui qui avance. Si les mots sont ceux du travail, on trouve aussi ceux qui ouvrent un espace entre, entre rouilles cadavres de chats de bouteilles(…) mais également entre les pronoms (nous, on, je et tu). Se dessine alors l’ombre du manœuvre-élagueur, son emprise bienveillante, figure mouvante du poète à laquelle Cédric Le Penven rend hommage.
Il était juste que le dernier poème du recueil revienne vers ce mot de manœuvre et que Le Penven remercie Thierry Metz d’avoir ouvert le lieu où partager la joie d’être parvenus jusque là :
Manœuvre
pour tes gestes précis autour de la table
pour ta bouche restée close pendant les bavardages
(…)
Pour les derniers jours d’octobre
pour la colère juste
pour la peur de mourir
je te dis
merci"
Que dire de plus que ce que Sylvie Durbec a déjà dit dans son commentaire ?
Enfin Bouche-Suie. C'est le dernier recueil publié à ce jour de Cédric Le Penven. Il l'a écrit entre novembre 2012 et juin 2014 mais n'a été publié qu'en 2015. Ce livre on peut le trouver balbutié. Comme si Cédric Le Penven se trouvait impuissant, hésitant entre la colère et le calme. On y lit sa douleur dans des poèmes toujours très courts. Il semble quand on le lit entendre le poète laisser échapper quelques mots. Incohérents parfois. Mais qui nous fait nous interroger sur notre présence dans le monde, sur l'enfance, sur les lieux de vie. Quelque part, ce recueil a peut-être pour but de rendre le monde un peu plus habitable. Quoi de plus humain que de chercher dans la dure réalité un petit coin de paradis, de réconfort. Il offre une solution possible à nos problèmes.
"Livre plongé dans les failles et la blessure, qui cherche à parler l'amour, contre le venin de soi, une plongée dans le corps. Ce serait une fièvre, le retour d'un rêve. Des poèmes comme des poings noirs."
C'est ce qu'écrit L'autre livre sur Bouche-Suie.
Je vous parlais tout à l'heure d'un interview. Eh bien une partie de celle-ci concernait les raisons pour lesquelles Cédric Le Penven écrivait de la poésie. Je me suis servie de la première partie de la réponse pour illustrer L'Ile de Cythère, à l'aube. Mais la deuxième concerne selon moi plus Bouche-Suie, et bien sûr d'autres recueils mais ayant lu ce recueil-là je peux être certaine qu'il est dans ce cas. Ce qui le pousse à écrire est aussi ce qu'il appelle une source noire. "Elle est liée aux blessures que chacun peut avoir connues dans son enfance, et sourd comme un cri qu’il lui faut extérioriser". Cette source noire vient selon lui "de l’inconscient où mijotent les questions irrésolues, les souvenirs qui nous travaillent, les rêves qui nous disent à notre insu. Cette parole donne la parole à ce qui parle en nous, et essaie d’en préserver la part de mystère." C'est un poète qui se questionne beaucoup et cela se ressent dans ses écrits.
Et voilà. Mon périple à travers les méandres d'Internet, à la recherche de réponses sur l'oeuvre de Cédric Le Penven dans le but de le comprendre, est terminé. Ce fut une enquête merveilleuse et passionante et j'ai l'impression de m'être rapprochée du lecteur. J'espère que mon article vous aidera vous aussi à mieux le comprendre lors de votre lecture de Bouche-Suie.