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Publié par i-voix

Voltaire / Rousseau 8 - Vivre avec les autres ?

 

 

EXTRAITS D'UN DIALOGUE THEATRAL
ENTRE VOLTAIRE ET ROUSSEAU
A LA MANIERE DE JEAN-FRANCOIS PREVAND

 

 

Voltaire : Pour ma part j'ai conscience que le luxe nécessite quelques sacrifices. Néanmoins il est bénéfique aux hommes, car qui souhaite le luxe doit commercer, et le commerce n'est il point la base de tout échange apaisé entre nations ? N'est-il pas le moyen de se cultiver par le voyage ? Mais si vous n'êtes pas convaincu par mon argument sur le commerce, sans lequel pourtant vous ne seriez pas si coquettement vêtu, on peut aussi noter que le luxe pousse chacun à repousser les limites du raffinement, que ce soit les hommes en société ou les artistes dans leurs œuvres, en effet c'est grâce au luxe que le joaillier et l'ébéniste, le sculpteur et le peintre s'efforcent d'atteindre le sublime. En définitive, le luxe, c'est le progrès, mon cher Jean-Jacques, et le refuser, c'est la barbarie !

 

(Voltaire et Rousseau s'observent. Nonchalamment Voltaire sirote son vin, il semble absolument sûr de lui.)

 

Rousseau : Je ne puis croire que vous ne vous soyez toujours pas rendu compte que l'Homme ne peut pas vivre en bonne intelligence avec son prochain et que le commerce ne résout en rien ce problème. Regardez par exemple ce qu'on inflige à nos frère noirs dans les cales de nos navires puis dans les plantations des Amériques. Regardez encore de quelle manière ses majestés « très catholiques » d'Espagne se conduisirent dans ces mêmes Amériques avec les indigènes qui y vivaient en parfaite harmonie avec la nature. Quel cauchemar, quelle ignominie que l'homme en société, mon cœur s'emplit d’effroi à chaque fois que j'entends les mots « voyages » ou encore « commerce » car ils n'évoquent en moi que la conquête, la mort …

 

(Voltaire ne l'écoute plus que d'une oreille il s'observe longuement dans le miroir tout en sirotant sa coupe de vin. Lorsque Rousseau s'interrompt, il lui lance un regard ironique. Rousseau pour sa part, au bord des larmes, observe le vieil homme, espérant avoir fait mouche.)

 

Voltaire : Soit, je puis comprendre que vous soyez déçu, voire meurtri par les aléas du commerce, néanmoins je ne suis pas convaincu par votre marginale solitude. L'Homme est ainsi fait qu'il aime vivre entouré de ses semblables. Au-delà des affections naturelles existant au sein des familles, je pourrais vous dire que l'on ne peut correctement raisonner et accomplir de grandes œuvres sans le concours d'autres penseurs, ou isolé du monde. Un solitaire aurait-il pu écrire l’Encyclopédie à lui tout seul ?

 

(Rousseau se lève alors brusquement et se dirige vers le miroir comme pour empêcher Voltaire de s'y contempler. Voltaire, dans un nouveau de geste de provocation, s'incline pour se voir quand même et réajuster sa perruque.)

 

Rousseau : Monsieur, il me faut bien tenter de corriger votre pensée, à mon avis erronée. Certes s'il est vrai que de temps à autre un homme parvient à produire quelque chef-d’œuvre avec l'aide de ses semblables, il me semble essentiel de vous rappeler ce qu'il advient le plus souvent et ce à quoi on s’expose lorsque les hommes se rassemblent. Il est vrai qu'un homme seul n'aurait jamais pu écrire l'Encyclopédie, mais un homme seul peut-il guerroyer contre ses voisins, un homme qui vit dans la solitude peut-il médire de ses semblables ou encore se comparer à eux dans une débauche de superflu et de richesses qui s'accumulent ? Quand au fait de raisonner, vous me permettrez de m'interroger sur les bienfaits de la vie en société sur la pensée. Je ne comprends pas comment un homme du monde peut élever la sienne au milieu des mille mondanités auxquelles il se prête, au cœur des mille intrigues et médisances auxquelles il est associé ! Pour ma part, je préfère penser loin du tumulte et des babillages du monde, et plus loin encore de tout le superflu qui pourrait entraver la marche de mon raisonnement.

 

(Voltaire semble maintenant agacé, profondément mécontent d’avoir perdu l'usage de son miroir.)

 

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